La condamnation du prieur de Montlhéry
C. Julien . Septembre 2015.
Par une sentence de police datée du vendredi 17 mai 1726, le prieur de Montlhéry est « condamné à 1.000 livres d'amende pour avoir contrevenu à la déclaration de Sa Majesté, qui défend à toutes sortes de personnes de vendre des bleds, farines et autres grains sur une montre, dans les marchez ». Il s'agit de la déclaration du 19 avril 1723, par laquelle le roi Louis XV tente une réforme « à procurer à ses sujets l'abondance des choses les plus nécessaires à la vie ; attention qui le pousse à empêcher la cherté des grains ».
Les crises de subsistances
Les crises de subsistances et plus particulièrement les crises frumentaires sont des phénomènes bien connus sous l'Ancien régime. Elles sont associées aux disettes, voire les famines, les vagabonds et les cortèges de mendiants qui affluent dans les grandes villes. Le calendrier de ces évènements survient avec les fameux mois de la soudure , plus ou moins de février à mai. Elles sont l'origine des émeutes sur les marchés pour lesquelles le pouvoir royal édita une accumulation de règles, de recettes plus ou moins efficaces. Ainsi, on parle d'accapareurs, de profiteurs et de spéculateurs. Chaque communauté locale s'oppose aux exportations et autres « enlèvements de grains ». La réponse à ces crises s'énonce en quatre points : la référence au juste prix par la taxation, le châtiment des profiteurs de la misère du peuple, la priorité aux intérêts communaux et, enfin, l'action du roi, protecteur du peuple. Après les troubles de la fin du règne de Louis XIV, les plus connus au XVIIIe siècle sont les troubles de la guerre des farines de 1775 et les troubles prérévolutionnaires de 1788-1789.
En ce qui concerne le commerce des grains au XVIIIe siècle, la royauté a été incapable de garder une ligne politique cohérente sur le « principe du marché libre ». Traumatisés par le terrible hiver 1709 et la mortalité accrue qui s'en suivit, dès les années 1720, les ministres de Louis XV tentèrent de juguler la hausse des prix. A ce propos, dans une lettre aux élus des Etats de Bourgogne, le 18 avril 1775, Turgot écrivit : « Il n'y a pas de meilleur moyen de susciter une pénurie que de promulguer des ordonnances publiques destinées à les prévenir ». Il ajoute que la « taxation des grains les fait fuir » et donne des consignes pour restaurer l'ordre : « il faut avant tout en imposer à la populace et être le plus fort, car si la tranquillité n'est pas rétablie, si la sécurité n'est pas entière pour les marchands, les laboureurs, les meuniers n'auront pas de grain de blé. Personne n'a envie d'exposer son bien et soi-même à la fureur de la populace ». Déborah Cohen écrit : « Dans la France du XVIIIe siècle, il n'existe théoriquement pas de marché national du blé et la vente est soumise à trois contraintes principales qui portent sur le commerce entre les provinces, sur les lieux de vente, et enfin sur une interdiction de toute exportation. En réalité, dès le milieu du XVIIIe siècle, ces règles théoriques ne sont appliquées qu'avec une très grande souplesse et ne font retour que quand la pénurie menace. Lorsque commencent à paraître les textes des économistes remettant en question cette tradition et des édits royaux qui les suivent sur ce terrain, leur force de provocation réside donc dans une affirmation symbolique forte. À l'horizon des émeutes, il y a sans doute autre chose que le spectre de la famine et la volonté d'y apporter remède d'une manière juste. L'horizon, pour ces paysans exprimant leur colère, est bien celui de textes, de discours. Il s'agit d'un premier indice pour comprendre pourquoi les émeutes de 1770, et celles de 1775, n'ont pas paru aux contemporains pouvoir s'inscrire dans la continuité de rébellions frumentaires anciennes… Aussi n'avait-on jamais vu, depuis l'existence de la monarchie française, un roi se déprendre de la figure pastorale de père nourricier de son peuple. Ce n'est pas le niveau de violence, relativement faible, ni même le nombre de personnes impliquées dans l'émeute qui peuvent expliquer un tel sentiment d'extraordinaire. C'est bien plutôt parce que ces émeutes ont été des prises d'autonomie du peuple dans le champ politique et parce qu'elles ont, même confusément, été perçues comme telles, qu'elles sont extraordinaires… » (1).
Le prix des grains (froment, méteil, avoine, seigle,…) est en fonction de la récolte (du climat) et de leur vente sur le carreau des marchés, d'où les grands écarts des prix et la misère du peuple. En 1713 et 1714, une livre de pain de 489 grammes coûte 2 sous et 9 deniers. En 1725, le pain de bouche (pain de luxe) de 14 onces vaut 4 sols et 6 deniers, le pain bis 3 sols et 6 deniers et le dernier choix 1 sol et 8 deniers. En 1740, le pain moitié orge moitié froment vaut 2 sols et 6 deniers.
En ce qui concerne le climat du début du XVIIIe siècle, les années fraîches, au fil d'une longue phase très majoritairement tiède, sont, quant au semestre d'été : 1720 ; ensuite 1725, un semestre d'été vraiment très frais, pourri, hyper pluvieux, brumeux, ciel très sombre, absence d'ensoleillement, atteinte portée aux récoltes, nécessité d'importer du blé, notamment d'Angleterre, émeutes de subsistance, mais au total c'est simplement une semi-disette, pas une vraie famine.
Condamnation du sieur Prieur de Montlhéry
Vendredi 17 mai 1726 - Sur le rapport qui nous a esté fait à l'audience de la chambre de police du Chastelet de Paris par maistre Louis Poget, conseiller du Roy commissaire enquesteur examinateur audit Chastelet, du contenu au procès-verbal fait par Pierre-Louis Marchais, escuyer conseiller du Roy, lieutenant de la prévosté et maréchaussée générale de l'Isle-de-France, commandant la brigade du Bourg-la-Reine, et qui luy a esté remis par ledit sieur Marchais, de nostre ordonnance, pour faire rapport de la contravention commise aux règlemens de police et la déclaration du Roy du dix-neuf avril 1723, enregistrée au Parlement au mois de may suivant ; par laquelle déclaration du Roy il est défendu à toutes sortes de personnes de vendre des bleds, farines et autres grains sur une montre dans les marchéz, à peine contre les contrevenans de mille livres d'amende : ledit procès-verbal datté du six du présent mois, contenant qu'estant ledit jour au marché de Montlhéry pour examiner si on observoit exactement ladite déclaration du Roy du dix-neuf avril 1723, il a vû la nommée Cleron, gouvernante du sieur Prieur de Montlhéry qui estoit dans le marché, laquelle avoit une montre de bled, sur laquelle montre elle avoit vendu huit septiers de bleds à la veuve Peche, boulangère à Paris, moyennant vingt-deux livres le septier, lesquels huit septiers ont esté mesurez et livrez à ladite veuve Peche par ladite Cleron chez ledit sieur Prieur, qui estoient dans ses chambres : en telle sorte que la contravention commise à la déclaration du Roy par ledit sieur Prieur de Montlhéry par le ministère de ladite Cleron sa gouvernante, estoit certaine et évidente. Pour quoy ledit sieur Prieur a esté assigné à la présente audience, à la requeste du procureur du roy de cette cour, par l'exploit d'Antoine Taillepied, archer en la prévosté de l'Isle-de-France, pour répondre sur le contenu audit procès-verbal.
Sur quoy, NOUS, après avoir ouy le commissaire Poget en son rapport sur le contenu audit procès-verbal, ensemble les gens du Roy en leurs conclusions, avons donné défaut contre ledit sieur Prieur de Montlhéry non comparant, dûëment appelé, et pour le profit, ordonnons que les ordonnances et règlemens de police, ensemble la déclaration du Roy, seront exécutez selon la forme et teneur, et pour y avoir par ledit sieur Prieur de Montlhéry contrevenu, l'avons condamné en mille livres d'amende. Et sera la présente sentence imprimée, lûë, publiée et affichée dans tous les lieux et endroits accoutumez de cette ville et fauxbourgs de paris, même sur le marché de Montlhéry, et tous autres qu'il appartiendra, à ce que personne n'en ignore, et exécutée nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d'icelles.
Ce fut fait et donné par Messire René Herault, chevalier seigneur de Fontaine-Labbé, conseiller du Roy en ses conseils d'estat et privé, maistre des requestres ordinaire de son hostel, conseiller d'honneur en son Grand Conseil, et lieutenant général de police de la ville, prévosté et vicomté » de Paris, les jour et an que dessus.
Signé : HERAULT, MOREAU, CAILLET, greffier.
La sentence cy-dessus a été lûë et publiée à haute et intelligible voix, à son de trompe et cry public, en tous les lieux ordinaires et accoutumez, par moy Jean le Moyne, huissier à cheval au Chastelet de paris, juré crieur ordinaire du Roy, de la ville, prévosté et vicomté de Paris, y demeurant ruë de la Tixeranderie, accompagné de Louis Ambezar et Claude Crapon,ne , jurez trompettes, le 29 may 1726, à ce que personne n'en prétende cause d'ignorance, et affichée ledit jour esdits lieux.
Signé, LE MOYNE.
De l'Imprimerie de P.J. Mariette, imprimeur de la police.
Remarques
Le setier de blé à Paris était de douze boisseaux et devait peser deux cent quarante livres.
Sur le marché de Montlhéry du lundi 6 mai 1726, le prieur cédait la quantité de 8 setiers de blé pour un poids total de 960 kg (1 setier équivaut à environ 156 litres ) qui provenait de la dîme prélevée sur le canton dîmier de Longpont-Montlhéry.
La peine de 1.000 livres est considérable. Pour en connaître la teneur, il est utile d'en donner l'équivalence de la monnaie au travail : le salaire horaire moyen d'un ouvrier sous Louis XIV était 1 sol 6 deniers, soit 19 livres par mois en moyenne à raison de 10 heures de travail par jour et six jours par semaine ; le salaire du journalier vers 1750 était 1 l .t. 6 s.t.
Note
(1) D. Cohen, Le débat sur le commerce du blé (1768-1775) : formes et porteurs légitimes de la rationalité en question (Institut Universitaire de Florence, 2006).