La forêt de Séquigny (12) Les routes de la forêt

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _-----------------------------_-novembre 2012

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Carte de la forêt de Séquigny (d'après F. Perin, 1903).

C. Julien

 

 

Après avoir discuté les droits d'usage dans la forêt de Séquigny, nous continuons par les différends occasionnés par la possession des routes (*). Le sujet a été traité d'une façon approfondie par M. Louis Félix Perin qui prit une part active dans les contentieux en tant que maire de Morsang-sur-Orge de mai 1898 à mai 1908. C'est le texte que nous présentons dans cette chronique (1). Récemment, un beau texte sur «  Les routes royales du bois de Villemoisson  » a été produit par M. Claude Audigié (2).

 

 

Les routes pour les bons plaisirs

Pour bien comprendre cette seconde question « des routes de la forêt de Séquigny  », il faut se pencher sur le statut sur l'Ancien régime de ce massif boisé et de jeter un coup d'śil sur la carte de la forêt. La forêt, en tant que telle appartenait à des particuliers, séculiers et communautés ecclésiastiques, était placée sous l'autorité du roi qui possédait le doit de chasse «  pour ses bons plaisirs  ». De ce fait, le roi avaient la propriété les routes et l'ensemble était géré par le gruyer de Montlhéry. On se rend immédiatement compte que les villages qui l'entourent : Saint-Michel, Sainte-Geneviève, Villemoisson, Morsang, Viry-Chatillon, Grigny, Fleury-Mérogis, Longpont, n'ont pas entre eux de communications plus directes que les routes forestières.

Laissons Félix Perin nous le narrer avec une pointe de romantisme : «  Routes d'ailleurs aussi agréables que pratiques, et dont le charme, au printemps ou à l'automne, évoque tout un passé de pastorales amoureuses et de chasses à courre, qui se répercute jusque dans les noms des routes elles-mêmes : Route du Prince, route de la Princesse , route du carrefour-de-l'éperon, route du Camp, carrefour de Fanchette, carrefour des Papillotes . Autant de vocables qui sentent la poudre de chasse et la poudre de riz, et qui, pour le promeneur, évoquent le souvenir de multiples hallalis : ceux où l'amour tenait lieu de piqueur, et les autres ceux où l'on forçait une biche ; ceux où l'on forçait une belle ! Les Rois de France qui ne possédaient pas la forêt elle- même, étaient titulaires exclusifs des droits de gruerie et de chasse, ils étaient de plus propriétaires de toutes les routes  ».

Aussi était-ce avec un soin jaloux que l'administration royale des Eaux et Forêts réservait pour l'usage exclusif des routes que le roi avait créé. Elles étaient entretenues à grand frais, les faisant bomber, essarter, pour que pas même un brin d'herbe ne gène le passage de la chasse royale. Les propriétaires étaient tenus à élaguer les arbres qui débordaient , et leur interdisaient, sous peine d'amende, de s'en servir pour la vidange de leurs bois, ou d'y passer en voiture; dans la crainte qu'une ornière, faisant buter un cheval, n'amenât une chute irréparable. Mais si le passage des voitures y était interdit, tout le monde pouvait circuler librement à pied sur ces routes délicieuses ; les habitants s'en servaient pour l'exercice de leurs droits d'usages , ou pour se rendre à leurs affaires d'un village à un autre ; ils les suivaient avec leurs bestiaux ou leurs chevaux pour les mener paître.

 

 

La colère de Monsieur Perin

Aujourd'hui (1903) au contraire, que voit-on ? Des propriétaires dont les rois ne sont plus là pour refréner les abus, cherchant à empiéter sur les chemins , y creusant, sous prétexte de défrichement, des trous et des carrières ; sans compter ceux d'entre ces potentats qui ferment hermétiquement les routes par des barrières, avec un sans gêne que les rois n'avaient jamais puisé dans leur bon plaisir.

On voit un spéculateur essayer de vendre par lots une partie de la forêt; essayer d'y créer un village artificiel dont le nom de Beauséjour ne sera jamais qu'une ironie ! Chalets branlants, guinguettes odorantes, orchestres criards, bals de barrière ou bals musette ! Telles sont les actualités faubouriennes et vulgaires qu'on veut faire entrer dans le décor qui servit de cadre aux amours du Grand Roi.

 

 

Les arrêts des XVIIe et XVIIIe siècles

Plusieurs documents montrent que les Rois étaient propriétaires des routes. Ces pièces historiques sont des arrêts du Conseil d'Etat du roi , des procès-verbaux du grand maître, réformateur des Eaux et Forêts. D'un acte de réformation de la gruerie de Montlhéry de 1665 et 1666 , il résulte que le roi ne possédait aucun bois dans la forêt de Séquigny, qu'elle appartenait à des communautés ecclésiastiques et séculières ainsi qu'à plusieurs particuliers ; que sur ces bois, le Roi avait seulement le droit de gruerie, de chasse et la propriété des routes (3). Nous ne connaissons que deux pièces intéressantes, qui sont :

1° Une carte manuscrite conservée aux Archives nationales, qui porte ce titre : Forest de Sequigny ou le Roy n'a que les routtes avec la grurie qui consiste en la justice sur tous les bois . Cette pièce est signée : Barrillon d'Amoncourt , de Froidour, J. Bordier.

2° Un état des chauffages, daté du 2 Décembre 1673, cette pièce est conservée aux Archives nationales sous le numéro E. 3627, f° 233 ro . Son titre seul a pour nous de l'intérêt, nous le donnons ci-dessous. Estat des chauffages et autres droicts ... sur les forests de l'Isle-de-France, Brie. Champagne. etc... Isle-de-France, maistrise de Paris, grurie de Montlehéry, forest de Séquigny . Le Roi n'y possède que les routes et la Justice.

 

 

 

Donc au XVIIe siècle, il y avait des routes dans la forêt, et ces routes appartenaient au Roi ; c'est tout ce que nous savons. Mais si nous ne pouvons pas préciser ce qu'elles étaient à cette époque ; au siècle suivant nous sommes bien mieux renseignés. Louis XV fit réparer et prolonger les anciennes et en fit ouvrir d'autres. Il remboursa de ses deniers, ou plutôt de ceux de l'état, toutes les emprises faites aux divers propriétaires pour la création de ces routes. Puis, il les fit entretenir avec le plus grand soin pendant toute la durée de son règne. Louis XVI , jusqu'à la Révolution , suivit son exemple.

La première pièce que nous trouvons dans cette période, est un procès-verbal de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Paris, qui contient les devis et estimation des travaux à faire pour la réparation et le prolongement de sept routes déjà existantes et pour l'ouverture de dix routes nouvelles.

L'an 1771, le lundi 17eme jour de juin et jours suivants, nous Jean Renard, arpenteur général du département de Paris et Île-de-France, premier arpenteur de la maîtrise des Eaux et Forêts, en vertu des ordres verbaux à nous donnés par maître Louis, François Duvancel, chevalier, conseiller du Roy, en ses conseils Grand Maître enquêteur général, réformateur des Eaux et Forêts de France au département de Paris et Île-de-France, nous sommes transportés dans la forêt de Séquigny à l'effet de procéder aux prolongations des différentes routes ci-devant ouvertes, et les faire traverser les bois de plusieurs particuliers ci-après nommés pour déboucher dans les plaines, ainsi qu'aux alignement et ouvertures de dix nouvelles routes et à la reconnaissance, toisé et devis estimatif des travaux qu'il convient y faire, pour les porter à leur perfection, comme aussi à ceux qu'il convient de faire aux dites routes ci-devant ouvertes, le tout pour l'agrément et commodité des chasses de Sa Majesté ; ainsi qu'il est dit et ordonné par arrêt du Conseil, etc.

La suite de ce procès-verbal nous apprend que le Roi fit prolonger et réparer sept routes, existant déjà à cette époque, savoir : les routes du Prince , de la Gilquinière , du Perray, du Long-Foin, de Villemoisson (route à la Dame ), de Monsieur, de Pinaut. Puis, qu'il en fit ouvrir dix nouvelles, qui sont : la route de Grigny, la route de Viry , la route de Fleury, la petite route du bois de la Cambe , les routes de Mallet, de Beaumont , de la Princesse , du Cilindre, des moines, de la Tour. Le procès-verbal désigne toutes ces routes par leurs tenants et aboutissants, il est facile de les reconnaître en suivant la carte. Il indique également leur longueur et leur largeur : la route du Prince avait 10 pieds de large ; celle de Villemoisson avait 15 pieds et toutes les autres n'avaient que 9 pieds .

Pour les prolongements des routes anciennes, de même que pour l'ouverture des nouvelles, le procès-verbal donne les noms des propriétaires des terres, sur lesquelles ces routes sont établies et la superficie exprimée en perches, des terres prises à chacun d'eux. Les noms de ces propriétaires sont :

•  M. Bertier de Sauvigny,

•  Mme Bernard de Boulainvilliers,

•  M. de Beaumont,

•  Les R. R. P. P. Minimes,

•  Les Dames de Saint-Cyr,

•  Le Séminaire d'Orléans,

•  Mme la Marquise de Bréhant,

•  M. le comte du Luc, Seigneur de Savigny,

•  M. Léger,

•  Les Religieux de Longpont.

Il indique les devis et toisé des ouvrages à faire sur les routes ci-devant ouvertes. ainsi que l'estimation du prix des travaux. On y voit : les relevé et estimation du fonds de terrain appartenant aux différents particuliers « que nous avons estimés à raison de 450 livres l'arpent » Puis il donne la liste des particuliers et le détail des sommes qui seront dues à chacun pour les terrains qu'on leur prend, qui s'élèvent ensemble à 1.995 livres 8 sols. Pour les routes anciennement ouvertes et désignées ci-dessus, le Roi agissait donc bien en propriétaire, et les sommes dont il est fait mention dans cette partie du procès-verbal, ont bien été payées par lui.

La deuxième pièce est un extrait des registres du Conseil d'Etat . Elle nous apprend que le roi a ordonné l'exécution des travaux prévus dans le procès-verbal du 17 juin 1771 ci-dessus. Cette pièce est très intéressante en ce qu'elle prouve que tous les propriétaires ont été payés des emprises faites sur eux. Car le roi indique sur quel crédit devront être prélevées les sommes nécessaires à ces paiements. Nous en donnons ci-dessous des extraits : «  Le18 août 1771, le Roy étant informé qu'il serait nécessaire de rétablir différentes routes anciennement ouvertes, d'en prolonger quelques-unes et même d'en ouvrir de nouvelles, savoir : dans la forêt de Sequigny. (suit l'énumération des routes portées au procès-verbal du 17 juin 1771, avec leur longueur et largeur.) Et Sa Majesté, désirant pourvoir au paiement des ouvrages nécessaires, pour porter les dites routes à leur perfection, etc. et au remboursement des particuliers dont le terrain entrera dans les dites routes. Le Roy en son Conseil ordonne que par l'arpenteur, il sera procédé aux alignements, percements des routes à ouvrir, ci-dessus désignées et ensuite à la visite et reconnaissance, toisé et estimation des ouvrages à faire, le tout suivant prix fixés par différents arrêts du Conseil pour ouvrages de pareille nature, dont, du tout, ainsi que de l'estimation des terrains des particuliers à travers lesquels les dites routes seront ouvertes, le dit arpenteur dressera procès-verbal. Ordonne qu'il sera fait emploi en dépense sous le nom des propriétaires des héritages à travers desquels auront été ouvertes les dites routes du montant de l'estimation du dit terrain, les sommes qui leur auront été payées seront passées et allouées en dépense dans les états et compte du dit receveur général pour la dite année ; sans difficulté, en vertu du dit présent arrêt et sans qu'il en soit besoin d'autre.

La troisième est la soumission de Marin Chéron pour l'exécution des travaux prévus et ordonnés dans les deux pièces qui précèdent.

Nous la reproduisons ci-dessous : «  Aujourd'hui, vendredi 6 septembre 1771, sont comparus au greffe de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Paris : Martin Chéron, Louis-Antoine Fontaine et François-Denis Germain, entrepreneurs ordinaires des travaux de Sa Majesté, nommés par ordonnance de M. le Grand Maitre du 20 août 1771, pour l'ouverture et prolongation de différentes routes, ponceaux et autres ouvrages ordonnés être faits pour la sûreté et commodité des chasse de Sa Majesté dans la forêt de Séquigny, par arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 18 août 1771, lesquels, en exécution des dits arrêts et ordonnances susdites, se sont soumis et se soumettent par ces présentes à faire et parfaire les dits ouvrages ainsi qu'il est porté et pour les prix fixés au dit procès-verbal de devis du dit Jean Renard, dont ils ont requis acte à eux octroyé et ont signé avec nous : Cheron, Fontaine, Germain, Maupoint  ». Les routes ont donc été percées par le Roi à cette époque et à ses frais ; et à partir de ce moment il en a joui librement sans contestation de la part de personne. La réception des travaux faits dans la forest de Sequigny est donnée le 7 janvier 1772 (Arch. Nat. Z/e 310.). L'arpenteur Jean Renard, constate que les travaux commandés le 18 août 1771 et énoncés par le procès-verbal du 17 juin de la même année, ont bien été exécutés par Louis- Antoine Fontaine et François-Denis Germain, et il estime qu'on doit leur payer la somme de 11.326 livres 1 sol.

Par un extrait des Registres du Conseil d'Etat du 12 avril 1772 Arch. Nat. Z/1e /300), nous apprenons que : «  Le Roy étant informé qu'indépendamment des routes ouvertes dans la forêt de Séquigny pour l'utilité et agrément des chasses de Sa Majesté, il existe beaucoup de chemins qui ont été formés par les voitures qui servent à la vidange des bois ; que les propriétaires des parties des bois au travers desquelles passent ces chemins désireraient les faire replanter. Le Roy étant en son Conseil a permis et permet à tous et un chacun des propriétaires des bois formant la forêt de Séquigny de faire replanter en bois, tous les chemins et faux-fuyants qui s'y trouvent. autres, néanmoins que ceux faits en exécution de différents arrêts du Conseil pour l'utilité et agrément des choses de Sa Majesté  ».

Le Roi entretient les routes avec un soin constant et impose l'élagage de la forêt de Sainte-Geneviève. Celui du 4 février 1776 coûte 291 liv.13 sols 4 den.; le 2 juin 1777, on dépense 300 liv. 7 sols ; le 26 décembre 1778, on dépense 300 liv. 7 sols. Le 15 novembre 1779, l 'arpenteur royal se transporte dans soixante-cinq routes, chemins et faux-fuyants à l'effet de faire des reconnaissances, toisés et devis des ouvrages qu'il convient de faire. Il déclare : «  Nous avons d'abord reconnu que dans la route de Villemoisson, depuis sa sortie sur les terres de Villemoisson, jusqu'à l'angle du parc Sainte-Geneviève, pris le pavé de Morsang, qu'il convient de faire 1.850 toises de bombement  ». Puis il examine les travaux à faire sur les routes du Cilindre, du Perray, de Viry, de la Gilquinière , et reconnaît qu'au total on doit dépenser 2.869 liv. 13 sols 4 den.

À la date du 8 décembre 1779, nous trouvons une pièce du plus haut intérêt. C'est un arrêt du Conseil d'Etat dans lequel le roi affirme son droit de propriété sur toutes les routes de la forêt, de la manière la plus formelle, en rappelant aux propriétaires qu'il leur a payé l'emprise des dites routes. Nous en donnons ci-dessous la copie. «  Le Roy étant informé que, quoique Sa Majesté ne possède aucuns bois dans la forêt de Séquigny, elle a néanmoins en différents temps ordonné l'ouverture de plusieurs routes dans cette forêt pour l'utilité et l'agrément de ses chasses et pourvu au remboursement de la superficie et du fond des terrains qu'elles traversent ; que malgré ces remboursements et la reformation générale des Eaux et Forêts de Paris, qui déclare les routes destinées au plaisir des chasses, appartenir à Sa Majesté, plusieurs de celles de la dite foret de Séquigny sont tellement en mauvais état, qu'il est des endroits si dangereux que l'on ne pourroit les fréquenter sans s'exposer ; que cette dégradation ne vient que de la facilité que donnent les propriétaires de la dite forêt à leurs voituriers de s'en servir pour la vuidange des ventes qu'ils font faire annuellement sans pourvoir à leur rétablissement ; qu'au moyen des dits remboursements ces propriétaires ne peuvent, en aucun cas, se servir des dites routes, ny permettre à leurs voituriers de les fréquenter pour la vuidange de leurs bois et Sa Majesté, voulant que l'usage des dites routes soit interdit, et pourvoir à leur rétablissement, Elle a résolu de faire sur ce connaître ses intentions. Ouï le rapport du sieur Moreau de Beaumont, Conseiller d'Etat ordinaire et au Conseil Royal des finances. Le Roy étant en son Conseil a fait et fait très expresses inhibitions et défenses à toute personnes de quelque qualité et condition qu'elles puissent être, de se servir en aucun cas, de quelque manière que ce soit, des routes qui ont été ouvertes ou qui le seront par la suite dans la forêt de Séquigny, pour l'utilité et la commodité des chasses de Sa Majesté, à peine de dix livres d'amende pour la première fois, de vingt livres, en cas de récidive, et de confiscation des bois, chevaux, voitures et charettes qui seront trouvés longeant ou traversant les dites routes ; ordonne Sa Majesté, que si la vuidange des bois de quelques ventes de ladicte forêt ne pouvoit se faire sans fréquenter plusieurs des routes d'icelle, ceux des propriétaires qui désireront s'en servir, seront tenus de se retirer au greffe de la maîtrise des Eaux et Forêts de Paris, où ils feront leur soumission de ne se servir des dites routes que pendant le tems qui leur sera indiqué par les officiers de la dite maîtrise et de faire réparer les dites routes ou de payer à l'entrepreneur ordinaire, chargé de leur entretien, ce qu'il justifiera avoir déboursé pour les remettre dans l'état où elles étaient avant que l'on s'en servit. À Versailles, le huit décembre mil-sept-cent soixante-dix-neuf  ».

À partir de 1780, nous possédons plusieurs devis ou quittances se rapportant aux travaux de l'administration des domaines :

  • le 16 avril 1780, l 'arpenteur indique les travaux à faire sur les routes de Villemoisson (route à la Dame ) (4) , de Fleury, des Carrières, de Grigny, du Laurent, du Prince, de Monsieur, de Pinaut, de la Princesse , de Mallet de Beaumont, du Perray, de la Tour , du Cilindre .
  • le 21 février 1781, l 'arpenteur Jean Chaillou présente un devis d'élaguements qui se monte à 299 liv. 19 sols 4 den.
  • le 20 juillet 1785, l 'arpenteur constate que les travaux prévus au procès-verbal de 1780 et qu'il y lieu d'en payer à l'entrepreneur le montant qui s'élève à 4.665 liv. 10 sols.
  • le 15 mai 1782, l 'arpenteur estime que l'on doit payer pour élaguement à l'entrepreneur 299 liv. 19 sols 4 den.
  • le 9 octobre 1783, l 'arpenteur présente un devis d'élaguement qui se monte à 341 liv. 15 sols 4 den.
  • le 12 juillet 1784, l 'arpenteur estime que l'on doit payer à l'entrepreneur pour ses élaguements, 341 liv. 15 sols 4 den.
  • le 15 août 1784, l 'arpenteur Jean Chaillou présente un devis des travaux à exécuter sur les routes de Villemoisson (route à la Dame ), du Cilindre, du Perray de Viry de la Gilquinière , du Prince, qui devront s'élever à 2.355 liv. 3 sols 4 den.
  • le 15 janvier 1785, le Roi en son Conseil approuve et valide les travaux faits dans les routes de chasse de la forêt de Séquigny, et en ordonne le paiement qui s'élève à . 2.355 liv. 3 sols 4 den.
  • le 13 avril 1785, l 'arpenteur énumère en détail tous les travaux à faire sur toutes les routes désignées par leurs noms, bombement, essartement, fourniture de sable, pose de poteaux indicatifs et de barrières, etc... dont le devis s'élève à 6.700 liv. 15 sols.
  • le 22 juin 1785, le Roi étant en son Conseil approuve et valide le procès-verbal ci-dessus ordonne l'exécution des travaux et décide que l'entrepreneur sera payé sur Ordonnance du Grand Maître des Eaux et Forêts.
  • le 10 janvier 1786, l 'arpenteur présente un devis d'élaguements qui se monte à 328 liv. 8 sols 8 den.
  • le 18 décembre 1786, l 'arpenteur estime que l'on doit payer à l'entrepreneur pour ses travaux 2.770 liv. 18 sols 6 den.
  • le 19 décembre 1786, l 'arpenteur estime que l'on doit payer à l'entrepreneur pour ses travaux 6,700 liv. 15 sols.
  • le 17 mai 1787, l 'arpenteur estime qu'on doit payer à l'entrepreneur pour ses élaguements 328 liv. 8 sols 8 den.
  • le 20 juillet 1787, l'arpenteur Jean Chaillou se transporte dans toutes les routes de la forêt de Sequigny autrement dite de Sainte-Geneviève, il constate que les ornières ont bien été bouchées et il estime le travail à 501 liv. 10 sols.

 

 

Nous avons vu qu'au XVIIe siècle, il y avait des routes dans la forêt, que le Roi en était propriétaire sans conteste, et que, chaque fois qu'il en trouvait l'occasion, il affirmait son droit et sa propriété, ainsi qu'il appert des pièces de cette époque où cette phrase revient comme un refrain : «  le Roi avait la gruerie, la chasse et la propriété des routes  ». Nous savons, par les procès-verbaux qui précèdent que, bien avant 1771, de nombreuses routes qui furent prolongées et cette année, existaient déjà. La Carte des Chasses du Roi dressée de 1764 à 1773 indique toutes ces routes avec une précision parfaite. Le comte de Bertier possédait une petite carte très joliment gravée, intitulée : «  Plan du Château et Parc de Sainte-Geneviève et de la forêt de Séquigny, 1773  » où les routes y sont toutes indiquées par leurs noms, ainsi que les carrefours. Une autre carte des environs de Paris par dom Coutans , quoique moins nette que les précédentes, montre très bien toutes les routes de la forêt. Il existe aux Archives de Versailles, une carte manuscrite remontant à 1781 sur laquelle on retrouve toutes ces routes, sauf celle de la Mare-Tambour et la partie de la route de la Croix-de-Villemoisson qui est sur Morsang. Plus tard encore on les retrouve toutes sur le plan cadastral de 1811.

En dehors des routes créées par le Roi, il y avait de nombreux chemins et faux-fuyants appartenant à des particuliers qui s'en servaient pour la vidange de leurs bois. Le Roi ne s'en préoccupait nullement et permettait à ces particuliers d'y faire ce qu'ils voulaient, même de les détruire (Arrêt du Conseil d'Etat du 12 avril 1772). Il y avait aussi une route, dite de la greffière, qui allait directement de Morsang à travers la forêt, à la ferme de la Greffière et se continuait vers le Plessis-le-Comte et au delà. À une époque que nous ne pouvons préciser, les propriétaires ont percé une route qui va directement de la Grande route à la route de Fleury, et qui remplace avantageusement la route de la Greffière. Ils ont laissé le public passer par leur route, et le chemin de la Greffière n'étant plus fréquenté a disparu. Aujourd'hui, les propriétaires veulent reprendre la route qu'ils ont créée : c'est leur droit, mais alors, qu'ils rendent le Chemin de la Greffière !

 

 

Les routes sous la Révolution

Avant la Révolution , le roi c'était l'État. Il y avait caisse commune : le roi puisait dans la caisse sans contrôle. Le domaine royal se composait de tout ce qui était à l'usage du Roi ou de l'État : tels que les châteaux de Versailles, Chambord et autres, les forêts de Rambouillet ou de Compiègne, le mobilier et les diamants de la Couronne et quantité d'autres propriétés de toute nature parmi lesquelles, les routes de la forêt de Séquigny.

La Révolution arrive; tout ce qui dépendait du domaine royal devient domaine national. Le décret de l'Assemblée nationale des 22 novembre et 1er décembre 1790 est formel à cet égard. Au lendemain de la mort de Louis XVI, la Nation s'empare de tous les biens de la couronne : tout ce qui appartenait au Roi devient propriété de la Nation. C'est ainsi que les routes de la forêt de Séquigny passèrent du domaine royal dont elles faisaient partie dans le domaine de la Nation et devinrent ipso facto routes ou chemins publics.

À partir de cette époque, il n'y eut plus de Grand Maître enquêteur et général réformateur des Eaux et Forêts de France, plus d'arpenteur général du département de Paris, plus de gardes des chasses du roi, pour entretenir et surveiller les routes ; les barrières posées par le roi furent ouvertes et bientôt disparurent ; les routes furent affectées à l'usage du public, la circulation y devint générale et continue, les habitants s'en servirent comme lieu de promenade, les utilisèrent pour les relations intercommunales et pour l'exercice de leurs droits d'usages. Mais de leur côté, les propriétaires qui n'avaient plus à craindre les peines édictées par l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 décembre 1779, s'en servirent pour la vidange de leur bois, le transport des pierres, etc., etc.

L'État négligea de s'occuper de la forêt de Séquigny, laissant aux communes sur le territoire desquelles elles sont situées, le soin de les surveiller. Les gardes champêtres succédèrent aux gardes du roi et firent la police sur ces routes comme sur les autres chemins de la plaine. Cette situation se prolongea pendant un siècle sans protestations, sans que jamais un procès-verbal ait été dressé.

Le 3 thermidor an VIII (22 juillet 1805), dans une lettre communiquée au maire de Morsang par le préfet, M. de Bertier se plaint que les bestiaux abîment les routes, ce qui, dit-il, empêche la circulation. Si M. de Bertier s'était cru à cette époque propriétaire des routes, il n'aurait rien demandé au préfet, il aurait simplement interdit l'accès des routes.

 

 

Les routes sous la Restauration

La famille de Bertier qui était rentrée en possession de ses biens, le 19 brumaire an V, était parvenue sous la Restauration aux plus hautes situations. L'un de ses membres était général, maréchal de camp ; un autre ministre d'État, chevalier de Saint-Louis et de la Légion d'honneur. Le général habitait le château de Sainte-Geneviève, était propriétaire de presque toutes les terres de la commune dont il était maire. La mairie était installée dans une des pièces du château, toute la population était à sa discrétion. Son frère Anne-Ferdinand, ancien ministre habitait le château de Morsang-sur-Orge, et était aussi maire de la commune. Avec leur famille, ils possédaient la presque totalité de la forêt. Ils étaient tout puissants dans la région et ils se croyaient tout permis, personne n'osait leur résister. Qu'eussent pu d'ailleurs, à cette époque, de simples particuliers contre de si puissants seigneurs ?

Pendant cette période, nous ne trouvons trace d'aucun incident digne d'être signalé, les propriétaires exploitaient tranquillement leurs bois et les habitants des environs jouissaient en paix de leurs droits d'usages et de la liberté des routes.

En 1826, M . Maurey, maire de Villemoisson, faisant classer les chemins de sa commune, fit comprendre dans ce classement les chemins de la forêt comme les autres. Le comte de Bertier prétendit alors à un droit de propriétés sur deux de ces chemins, et par une lettre en date du 28 décembre 1832, il protesta contre le classement de ces chemins et notamment de la route de Villemoisson dite aussi route à la Dame qui, disait-il «  est redevenue route de chasse comme les autres depuis qu'on a ouvert à travers la forêt la route départementale  ». Dans la même lettre, il reconnaît comme chemin vicinal, traversant la forêt, celui qui va du rond de Morsang à Longpont (route de la Mare-Tambour ). Ce dernier chemin, d'après lui, aurait été borné cinq ans auparavant en 1827. Le procès-verbal de bornage se trouve à Sainte-Geneviève et lui attribue 4 mètres de large.

Le 29 juin 1835, le Maire de Villemoisson protesta contre les prétentions erronées du comte de Bertier, il voulut lui résister et défendre les droits de ses administrés. Il ne tint aucun compte de ses réclamations. Le 1er mars 1833, il écrivit au préfet, en réponse à la lettre adressée par le comte de Bertier au préfet le 7 février 1833, une lettre très intéressante dont nous extrayons le passage suivant : «  Il résulte des faits établis par les lettres qui précèdent : que ce classement (des chemins de la forêt) a été fait en exécution de l'arrêté préfectoral du 3 Novembre 1826 sans réclamation de la part de M. Bertier qui cependant connaissait cet arrêté, puisqu'à cette époque, il était maire de sa commune et devait avoir aussi en cette qualité fait dresser l'état des chemins communaux de Sainte-Geneviève  ».

Bien plus, pour affirmer son droit, le 29 juin 1835, il faisait dresser par son garde champêtre un procès-verbal à un nommé Charpentier, marchand de bois, pour avoir déposé du bois sur la route de Morsang à Longpont (route de la Mare-Tambour ) et sur la route de Villemoisson à Fleury (route de la Croix-de -Villemoisson). Charpentier est cité le 19 août 1835 devant le Tribunal de simple police de Longjumeau, où il déclare que c'est par ordre de Bertier qu'il a fait ce dépôt. De Bertier le reconnaît et demande à être substitué à Charpentier dans l'affaire. Charpentier est condamné à 1 franc d'amende, qui sera payé par Bertier.

Le 16 décembre 1842, le comte de Bertier ne se tint pas pour battu, il adressa une réclamation au sous-préfet de Corbeil et le 16 décembre 1842, le sous-préfet écrit au maire que le comte de Bertier réclame et demande le déclassement des routes de la forêt fournissant des documents. Il ajoute toutefois que le comte de Bertier qui avait demandé le déclassement des routes de la Gilquinière à la Dame et de la Croix , reconnaît que c'est par erreur que la route de la Gilquinière a été comprise dans la réclamation et qu'elle doit être restreinte aux deux seules routes à la Dame et de la Croix.

 

 

 

Le procès de Bertier contre Villemoisson.

Malgré ces restrictions, le maire de Villemoisson n'accepta pas les prétentions du comte de Bertier sur ces deux routes; et le 30 mars 1844, de Bertier demandait l'autorisation de plaider contre la commune. Dans sa demande, le comte de Bertier, prétendait que la route à la Dame avait été créée par lui en 1786. Or les procès-verbaux de 1771 la citent et la dépeignent très clairement. Le procès-verbal du 15 novembre 1779 en donne la longueur, la largeur, la superficie, telles exactement qu'elles sont aujourd'hui les procès-verbaux de 1780, 1784, 1785 constatent les travaux que le roi fit sur cette route à cette époque. Donc elle existait avant 1786 et n'avait pas été créée par le comte de Bertier.

Enfin l'affaire fut portée le 16 janvier 1845 devant le Tribunal de Corbeil qui, 1e 16 janvier 1845 avant faire droit autorisait de Bertier à faire la preuve que :

1° Les deux routes dont s'agit avaient toujours été entretenues et réparées par lui,

2° Que le prolongement de la route de la Croix n'est pas classé sur Morsang,

3° Que le même prolongement de la route à la Dame n'est pas classé sur Sainte-Geneviève,

4° Que la route à la Croix est plantée d'arbres, garnie d'une haie et d'un fossé et que de Bertier l'a toujours entretenue,

5° Que cette route a toujours servi pour le débardage des bois de Bertier,

6° Que les deux routes avaient été fermées par des barrières dont les vestiges existaient encore en 1843.

Si le maire de Villemoisson avait été mieux documenté, voici les réponses qu'il aurait pu faire aux prétentions erronées du comte de Bertier :

1° La route à la Dame a été entretenue exclusivement par le Roi de 1711 à 1789 ainsi que le prouvent les procès-verbaux de 1771, 1779, 1780, 1784 et 1785.

2° et 3° Que le comte de Bertier était maire de Sainte-Geneviève, que son frère était maire de Morsang, que par suite, c'était à ces deux messieurs, en leur qualité de maires, qu'il appartenait de faire classer les dits chemins. Mais qu'au lieu de le faire, ils avaient usé de leur haute situation et de leur grande influence pour empêcher de classer ces chemins qu'ils voulaient revendiquer, plaçant ainsi leurs intérêts personnels avant ceux des communes qu'ils avaient mission d'administrer. Dans ces conditions, comment s'étonner que ces chemins n'aient jamais été classés.

4° Que nous n'avons aucun document pour prouver que la route de la Croix était ou non plantée d'arbres et garnie de fossés et de haies. Mais que cette route figure : 1° sur une carte du XVIIe siècle ; 2° sur un plan de la forêt de 1773; sur une carte de 1781 (Archives de Versailles) ; sur la carte des chasses 1764-1773 et sur le cadastre comme route publique.

6° Que les barrières dont on voyait encore les vestiges en 1843 (barrières qui n'ont jamais été entretenues à aucune époque par le comte de Bertier, puisqu'après 1843 les vestiges mêmes avaient disparus) étaient les vestiges des barrières placées suivant les procès- verbaux de 1784 et 1785, pour empêcher M. de Bertier de passer et de se servir des routes.

Les différentes pièces produites par le comte Bertier (comptes divers de fournisseurs, procès-verbaux de bornage, mémoires de travaux faits dans la forêt, comptes d'élagages, plans, procès-verbal daté de 1785, etc.) pouvaient faire illusion à première vue et tromper des personnes qui, ne connaissant pas à fond la question, ne les étudiaient que superficiellement. Mais pas une seule ne pouvait résister à un examen sérieux, elles n'avaient aucun rapport avec les routes en question. Dans plusieurs, il s'agissait de bois autres que la forêt de Sainte-Geneviève. Les travaux sur les routes avaient été exécutés par l'entrepreneur ordinaire du roi à la suite de condamnations encourues par de Bertier pour dégradation des routes du roi. Enfin, on n'a jamais pu retrouver aux archives l'original de la soi-disant copie du procès-verbal de 1785.

Le maire de Villemoisson était insuffisamment documenté, mal conseillé et mal défendu. Incapable de démontrer l'inanité et la fausseté des documents qui lui étaient opposés, il ne pouvait lutter avec chances de succès contre son puissant adversaire. Et, le 13 mars 1846, le tribunal de Corbeil condamna la commune de Villemoisson, parce qu'il s'est écoulé an délai assez long depuis que le domaine royal est devenu prescriptible pour que le Comte de Bertier ait pu acquérir la propriété des routes.

« Attendu que les prolongations des deux routes ne sont pas classées sur Morsang et Sainte-Geneviève. Que les deux routes sont indiquées sur les plans cadastraux comme appartenant à de Bertier qui, depuis 1811 en acquitte les impositions. Qu'il faut en conclure que depuis 1790, de Bertier a agi en propriétaire et en a acquis la propriété par une possession paisible et non équivoque, pendant un laps de temps plus que suffisant pour la prescription. Que le passage des habitants était une tolérance. Par ces motifs, etc.  ». Ce jugement ne tenait pas debout et rien n'eut été plus facile que de le faire tomber, les considérants en sont absolument extraordinaires, nous dit M. Perin, le domaine royal, devenu domaine national, étant, par son essence même imprescriptible (décret de 1790).

Les routes n'étaient pas classées sur Morsang et Sainte-Geneviève parce que les comtes de Bertier, maires de ces communes, en avaient eux-mêmes empêché le classement. Ces routes sont indiquées sur les plans cadastraux comme chemins publics et il est démontré que le comte de Bertier n'a jamais payé l'impôt de ces routes, ni alors, ni maintenant. Les habitants y circulaient librement en voitures depuis plus de cinquante ans.

On eut donc pu facilement faire appel de ce jugement avec de grandes chances de réussir. Mais la commune trop pauvre n'avait pas d'argent pour continuer le procès. Elle n'avait même pas de quoi payer celui qu'elle venait de perdre en première instance. Ce fut M. Maurey, maire, qui paya ces frais de ses propres deniers. Nous avons eu en mains les reçus qui le constatent. Malgré l'excellence de sa cause, la commune dut s'avouer vaincue et abandonner la lutte. C'est bien sur cette pauvreté que comptait le comte de Bertier pour amener la commune à composition. Et c'est encore sur cette pauvreté que comptent aujourd'hui les riches propriétaires de la forêt pour s'emparer de toutes les routes .

Ce jugement reconnaissait au comte de Bertier la propriété de deux petites parties de routes sur le territoire de Villemoisson, mais rien autre chose. Depuis, il est juste de reconnaître que ces routes n'ont jamais été barrées qu'elles ont toujours été comme les autres, laissées à la disposition du public, qui a continué à y circuler d'une façon générale et constante jusqu'aux événements dont nous allons parler.

 

 

Accaparement des routes

En 1890, les habitants des communes circonvoisines jouissaient donc en paix depuis un siècle des routes de la forêt. Ils pouvaient y circuler librement à pied ou en voiture, et s'en servaient pour leurs relations intercommunales. Peu fatiguées par les voitures, ces routes n'avaient pas besoin de réparations, elles s'entretenaient toutes seules. Jusqu'en 1893, elles étaient si bonnes, qu'on y circulait à bicyclette. C'était pour tout le monde un lieu de promenade charmant qui donnait un grand attrait à toute la contrée environnante. Et comme personne n'émettait la prétention d'empêcher de passer, personne non plus ne songeait à faire classer les routes et à faire reconnaître un droit de circulation qui existait de fait et que tout le monde considérait comme indiscutable.

Si l'on joint à ces considérations le prestige héréditaire dont jouissait toujours la famille de Bertier et la crainte respectueuse qu'elle inspirait encore, le doute apporté dans les esprits par l'insuccès du procès de la commune de Villemoisson, la répugnance instinctive qu'ont les municipalités rurales, toujours pauvres et souvent ignorantes de leurs droits, à se lancer contre des gens riches et puissants dans un procès dont l'issue incertaine est toujours coûteuse et disproportionnée avec leurs ressources, on s'expliquera facilement les négligences qui se sont produites de la part des municipalités les mieux intentionnées.

À l'époque de la guerre de 1870, les carriers qui extrayaient de la meulière dans les carrés de la forêt, s'étaient bien permis, en poursuivant les filons qui passaient sous les routes du Prince et de Fleury, de porter quelques rares atteintes à celles-ci, mais ces trous recomblés aussitôt, n'interrompaient pas la circulation. On ferma les yeux.

En 1874, Mme la comtesse de Rigny fit placer des barrières en fer mobiles sur la route du Prince, et fit bâtir en même temps un pavillon de chasse qui empiétait sur la moitié de la route, Mais ce pavillon, placé au centre d'un vaste rond-point, ne gênait pas le passage, non plus que les barrières en fer toujours ouvertes. Ces empiétements étaient des faits isolés contre lesquels on ne songea pas à sévir, parce que, les routes restant libres, la circulation n'étant pas interrompue, ils ne gênaient personne.

Mais vers 1890, un nouveau personnage entre en scène . Après un séjour de quelques années en Amérique, M. Henri Say revient au château de Lormois, situé sur les communes de Longpont et de Saint-Michel (5). Il se rend acquéreur de la partie occidentale de la forêt et locataire pour la chasse de toute la partie qui est sur Villemoisson et d'une grande partie de Morsang. Puis, il fait placer à toutes les entrées des routes, des écriteaux défendant au public de pénétrer dans les allées, sentiers ou chemins de la forêt sous peine d'amende. Il mobilise toute une armée de gardes auxquels il donne les consignes et les ordres les plus sévères. En un mot, il organise la terreur dans la forêt ; si bien que tout le monde est intimidé par ce déploiement de force et personne n'ose plus y pénétrer dans la crainte d'être menacé, injurié, molesté par les gardes.

En 1894, M . Say, pour bien faire voir combien il se moquait des droits des populations environnantes, eut l'audace incroyable de faire barrer toutes les routes par des barrières fermées à clef. En même temps, M. le comte de Bertier qui avait loué à M. Say la chasse de plaine dans les parties de la forêt lui appartenant et défrichées par lui, fit placer en bordure de ces parties un grillage qui les isolait de la forêt et coupait les communications sur les routes de la Croix-de -Villemoisson, de Fleury, de Viry, du Parc Pierre et du Perray.

Par un bail, en date du 12 juillet 1887, il louait à la Société Civet , Crouet, Gautier et Cie, le droit d'extraire de la pierre dans ses terres et bois. Au cours de son exploitation, la Société attaqua les routes du Perray, du Carrefour-de-l'Eperon et du Parc-Pierre, mais ces quatre trous rebouchés ou contournés, n'entravent pas la circulation, sauf celui de la route du Parc-Pierre. À cette époque, l'extraction de la meulière, dans la forêt de Sainte-Geneviève, avait pris un développement considérable. Des chemins de fer avaient été établis dans toutes les directions pour faciliter le transport depuis la forêt jusqu'au port de Châtillon. Le chemin de fer prolongé d'abord jusqu'à la route départementale de Versailles à Corbeil traversait cette route depuis le 6 décembre 1878, et venait aboutir sur le territoire de Villemoisson. Les propriétaires qui n'extrayaient pas eux-mêmes, firent extraire par des entrepreneurs : MM. Ravel, Bouton et Piketty, Dubois, Civet-Crouet et Cie, etc. Des légions d'italiens, originaires la plupart de la Lombardie ou de la Vénétie , vinrent s'établir à Morsang pour se livrer aux travaux des carrières.

Cependant, jusqu'au 1895, les routes surveillées par le maire furent à peu près respectées : nous en avons pour preuve des lettres du directeur de la Société des briques et meulières de la Haute-Seine (26 Février l885), de MM. Bouton et Piketty (15 janvier 1894), de M. Bonnaire, architecte de la Marquise de Talhouët (23 janvier 1894). Mais en 1896, le régisseur de M. Durocher (l'un des grands propriétaires de la forêt), devint maire de Morsang. M. Durocher comme les autres propriétaires de la forêt, faisait tirer de la pierre dans ses bois. Il trouvait gênant, lorsqu'un filon entamé sur son terrain se continuait sous une route, de renoncer à la pierre qui s'y trouvait. La tentation était trop forte. Aussi, profitant du mandat municipal de son commis, qui est en même temps son oncle, et sûr de l'impunité, il fit défoncer les routes pour en extraire la pierre qu'il y rencontrait. Le maire-régisseur n'hésita pas entre sa commune et son patron. Il trahit celle-là au profit de celui-ci.

À partir de ce moment, les autres propriétaires, MM. Laurent, Desroques, Piketty, Moynat, délivrés de toute crainte de poursuites, encouragés par l'exemple du maire, défoncèrent sans scrupule les routes limitrophes de leurs propriétés et saccagèrent la forêt de fond en comble. D'un côté, les routes étaient barrées par les grillages Say et de Bertier d'autre part, elles étaient rendues impraticables par les trous de carrières qui atteignent quelquefois 7 et 8 mètres de profondeur. La forêt devint inabordable. Les populations expulsées de la forêt, privées de leur chemin, étaient exaspérées, tout le monde criait et se plaignait, mais personne n'osait agir, dans le doute où l'on était toujours.

Les maires qui auraient dû prendre en mains la cause de leurs administrés s'entendaient avec les propriétaires, ou en avaient peur. Et si cette situation s'était prolongée, c'en était fait à jamais des routes de la forêt. Mais les municipalités enfin émues des clameurs de l'opinion publique et instruites de leurs droits, secouèrent le joug du maire et se décidèrent à agir et à se défendre contre l'envahissement. De là, une série de procès dont nous allons parler.

À suivre…

 

 

Notes

(*) Madame Evelyne Verdière, présidente de la Société historique de Morsang-sur-Orge, est vivement remerciée pour ses encouragements et l'apport de la numérisation du livre de M. Félix Perin.

(1) F. Perin, La forêt de Séquigny ou de Sainte-Geneviève, histoire, droits d'usages, routes, chasse, Procès ( Morris père et fils, Paris, 1903).

(2) http://audigie.claude.pagesperso-orange.fr/royales.htm.

(3) Tribunal de Corbeil, le 29 août 1838 et 15 mars 1893. Cour d'appel de Paris, 25 Avril 1894.

(4) Route à la Dame , impossible de mieux désigner cette route : 1.850 toises représentent exactement sa superficie totale.

(5) Henry Say (1855-1899) est le fils de Constant André Say, riche industriel qui fit fortune dans le raffinage du sucre, et d'Émile Wey. Il avait épousé Mary Davies, fille d'un grand propriétaire terrien américain qui vivait à New-York. La famille Say était installée au château de Lormoy depuis 1862 et ne cessa d'agrandir le domaine jusqu'à la déconfiture de 1905.

 

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