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La forêt de Sequigny Le procès Say-Perin

Après avoir discuté les droits d'usage et du statut des routes de la forêt de Séquigny, nous continuons par les procès intentés par M. Say, le riche industriel sucrier à M. Perin, maire de Morsang-sur-Orge (*). Le sujet a été traité d'une façon approfondie par M. Louis Félix Perin qui prit une part active dans les contentieux en tant que maire de Morsang-sur-Orge de mai 1898 à mai 1908. C'est le texte que nous présentons dans cette chronique (1). Bien avant son mandat électif, Monsieur Perin ne supportait pas l'arrogance des propriétaires de la forêt et ne concevait pas les interdictions de circuler sur les routes forestières. Il engagea un combat contre les Henry Say qui avait loué la chasse dans la forêt. À la fin, «  David  » fut le vainqueur de «  Goliath  ».

C.Julien Mars 2013

 

Délimitation de la forêt de Séquigny (1898) sur la carte de Cassini (1756).

 

 

Félix Perin arrêté par un garde

Laissons parler M. Perin : «  Depuis mon enfance, j'avais toujours circulé librement dans la forêt de Sainte-Geneviève, je savais que les routes avaient autrefois appartenu au roi et je ne pouvais donc m'expliquer comment M. Say aurait pu en devenir propriétaire, car autant que je sache, il ne descendait pas de Saint-Louis, même par la main gauche. Je ne pris donc pas au sérieux ses écriteaux et sans m'effrayer des gardes, je continuai à circuler dans la forêt comme par le passé. Mais un jour, le 7 juillet 1892, comme je me promenais à bicyclette avec un de mes fils, je fus arrêté brutalement sur la route du Prince, à l'angle du vieux chemin de Montlhéry, par le garde Régnié qui me dressa procès-verbal. À titre de curiosité, je reproduis ci-dessous le procès-verbal du garde, sans y changer un mot de peur de lui faire perdre de sa saveur  ».

« Aujourd'hui, 17 juillet 1892, à 11 heures du matin, je soussigné Régnié (Nicolas), âgé de quarante-neuf ans, garde-particulier de M. Say (Henri) à Sainte-Geneviève-des-Bois, certifie qu'à l'heure ci-dessus, me trouvant sur la porte de ma demeure, j'aperçus deux hommes conduisant chacun un vélocipède, qui sortaient du bois dit des Gravelets, territoire de Sainte-Geneviève, par la porte qui se trouve au grillage, en face la maison où j'habite ; m'étant approché de ces deux hommes, je me suis adressé à l'un d'eux, qui doit être le père du second, je lui ai demandé pourquoi il s'introduisait dans la forêt malgré les défenses ? Il m'a répondu qu'il se foutait de moi, que cela ne me regardait pas. Comme je n'étais pas revêtu de mon uniforme, et croyant que cet homme ne me connaissait pas, je lui ai déclaré que j'étais le garde de la propriété; il m'a répondu : «  Je le sais bien, mais cela n'empêche pas que je me fous de vous, j'ai le droit de me promener dans tous les chemins de la forêt et vous ne pouvez pas m'en empêcher : vous me faites l'effet d'un drôle de pistolet  ». Lui ayant fait remarquer qu'à toutes les allées aboutissant sur les chemins publics, il y avait des plaques indiquant que, sous peine de procès-verbal, il était interdit de s'introduire sur les chemins de la forêt, il a répondu ; «  Je me fous de vos plaques, vous n'avez pas le droit de les faire poser  » Ayant fait observer à cet homme que les dites plaques avaient été posées par ordre de mon maître, propriétaire du bois, il a répondu : «  Je me fous du propriétaire comme de vous  ». En raison des faits rapportés ci-dessus, j'ai déclaré à cet individu que procès-verbal serait dressé contre lui, pour outrages à un garde particulier, dans l'exercice de ses fonctions, et en outre, pour s'être introduit dans la forêt confiée à ma surveillance, malgré les défenses qui en sont faites - l'homme a répété de nouveau : «  Faites ce que vous voudrez, je me fous pas mal de vous  » et sur interpellation, cet individu a dit se nommer Perin et habiter à Morsang, puis il est monté sur son vélocipède ainsi que le jeune homme qui l'accompagnait, sans que je puisse en obtenir d'autre renseignement. Cet homme m'a paru âgé de cinquante à soixante ans, le jeune homme qui l'accompagnait peut avoir de douze à quatorze ans. En foi de quoi, nous avons rédigé le présent procès-verbal, pour valoir ce que de droit  ».

Les gendarmes vinrent chez moi prendre mon état civil détaillé. On voulait me traduire en police correctionnelle. On se contenta du juge de paix. Et quelques jours après, je recevais assignation à comparaître devant le tribunal de simple police pour m'entendre condamner à payer 50 francs de dommages et intérêts et 200 francs par chaque contravention qui serait ultérieurement constatée.

Devant la justice de paix de Longjumeau , le 14 Octobre 1892 «  Je comparaissais devant ce tribunal, Me Gérard plaidait pour M. Say. Je déposai des conclusions qui avaient été rédigées par Me Chambon. Je soutins que j'avais le droit de passer où et comme bon me semblait. Mais j'opposai à la demande de M. Say une exception d'incompétence basée sur l'importance de la somme réclamée. En suite de quoi M. Say se désista de l'instance sous réserve de ses droits  ».

M. Perin continuait à circuler dans la forêt et le 20 novembre 1892, se promenant avec sa famille, il tomba dans une battue de chasse conduite par le même garde Régnié qui dressa un nouveau procès-verbal : «  Aujourd'hui, 20 novembre 1892, à 3 heures du soir, nous soussigné Régnié (Nicolas), âgé de quarante-neuf ans, garde particulier de M. Say (Henri), à Sainte-Geneviève-des-Bois, certifions qu'à l'heure indiquée, étant en chasse, lieudit : le bois de la Commission , territoire de la commune de Villemoisson ; les tireurs étaient placés sur l'allée dite de la Dame , lorsque le sieur Perin-Grados. . . est arrivé sur la ligne des tireurs, accompagné de sa famille (femme et trois enfants). Nous leur avons fait remarquer qu'ils gênaient la chasse, qu'ils n'avaient pas le droit de se promener dans la forêt. Perin a répondu : « Je suis libre de me promener dans la forêt avec ma famille, je n'ai pas à m'occuper de votre chasse, dit-il en continuant de couper la battue ; et vous ne pouvez m'empêcher de passer, du reste à cette époque de l'année, les habitants de Morsang ont le droit de venir faire le bois mort, eh bien ! je viens faire du bois mort », dit-il en me narguant. Nous avons déclaré à Perin que procès-verbal serait dressé contre lui, pour s'être introduit dans la forêt malgré la défense qui lui en a été faite. - Procès-verbal a déjà été dressé contre Perin, le 7 Juillet dernier ; le 25 Septembre suivant le garde Rouget a de nouveau rencontré Perin accompagné d'un de ses fils, montés chacun sur un vélocipède, se promenant dans la forêt ; le garde a voulu les empêcher de passer, mais Perin a continué son chemin, malgré les défenses du garde ; cet homme persiste à se promener en forêt, où il prétend avoir le droit.

La partie du bois par où Perin est entré avec sa famille, n'est pas soumise aux droits d'usages. Cette propriété appartient à M. Laurent et M. Say n'est que le locataire de la chasse  ».

Le 26 novembre, Félix Perin recevait assignation à comparaître devant le tribunal de Corbeil pour les mêmes motifs que ceux de l'assignation devant la justice de paix et avec la même demande de dommages et intérêts.

 

 

 

Devant le tribunal de Corbeil

«  L'affaire vint à l'audience du 15 mars 1893, Me Chambon plaidait pour moi, Me Gérard pour M. Say  » nous dit Perin. Le même jour, le Tribunal rendait un jugement dont nous extrayons littéralement les passages suivants : « Dans une requête présentée à M. le Président du Tribunal civil de Corbeil le 12 novembre 1892 1a demandeur M. Say exposait : Que propriétaire de partie de la forêt de Sainte-Geneviève et locataire de la chasse d'autre partie de cette même forêt, il avait fait afficher la défense de passer dans les allées et chemins privés de cette forêt. Que malgré cette défense, le sieur Perin avec son fils mineur, venaient constamment se promener en bicyclette ainsi que cela résultait notamment d'un procès-verbal dressé par le garde Régnié, le 7 juillet dernier. Pourquoi il requérait qu'il plut à M. le président, l'autoriser à faire assigner le sieur Perin, à comparaître à trois jours francs, sans préliminaire de conciliation devant le tribunal qu'il présidait, pour:
• S'entendre le sieur Perin faire défense de passer dans les allées, sentiers ou chemins dont s'agissait ; Et de pénétrer dans la forêt en bicyclette à peine de 100 francs par contravention qui serait constatée.
• S'entendre condamner sous la même astreinte, comme civilement responsable de son fils, pour le cas où celui-ci se livrerait aux mêmes faits.

Par acte d'avoué à avoué, Me charbon, pour son client M. Perin a signifié des conclusions dans lesquelles prétendant : que ni le chemin ou sentier sur lequel le concluant avait passé le 7 juillet 1892, ni les autres chemins sillonnant cette partie de la forêt de Sainte-Geneviève n'étaient fermés par des barrières. Qu'accessibles à tous et très fréquentés ils devaient au contraire être considérés comme des chemins publics. Qu'alors même qu'ils ne seraient pas tels, le fait par M. Say d'y laisser passer le public, devrait être considéré par chacun comme une autorisation tacite d'y circuler.

Après plaidoiries, le Tribunal rendait le Jugement suivant : «  Le tribunal, ouï en leurs conclusions et plaidoiries Me Gérard, avoué du sieur Say, demandeur, Me Chambon, avoué du sieur Perin défendeur, le Ministère public entendu, après en avoir délibérer conformément à la loi jugeant en audience publique et en premier ressort. Attendu que le 7 juillet 1892. Perin et son fils se trouvaient en bicyclette sur un chemin de la forêt de Sainte-Geneviève, lorsque le garde de Say leur fit un procès-verbal pour être entrés dans le bois malgré des écriteaux interdisant l'accès de la propriété et que Perin soutient que les chemins ne sont fermés par aucune barrière, qu'ils sont habitants des communes voisines qui traversent la forêt pour abréger leur marche, et que notamment la route où il se trouvait menant à Perray-Vaucluse, est usagée depuis plus de cent ans .

Attendu que le maire de la commune de Morsang-sur-Orge certifie que les routes qui sillonnent la forêt de Sainte-Geneviève et qui aboutissent sur la commune, ne sont fermées par aucune barrière, et ajoute qu'elles ne sauraient l'être parce que depuis un temps immémorial ces routes servent aux habitants , non seulement de promenade, mais de chemins de plus courte communication entre sa commune et celles de Perray-Vaucluse, Longpont et Saint-Michel. Qu'il résulte du jugement de 1838, que les habitants ont le droit de pénétrer dans la forêt pour bénéficier des droits qui leur sont concédés.

Mais attendu qu'il ressort de ce jugement des renseignements encore plus déterminants. Que c'est ainsi que d'après les recherches faites, il résulte : tant des éléments historiques produits, que de l'acte de réformation de la gruerie de Montlhéry de 1665 et 1666, que le Roi ne possédait aucuns bois dans la forêt de Séquigny ; qu'elle appartenait à des communautés ecclésiastiques et séculières, et à plusieurs particuliers : mais que sur ces bois, le Roi avait droit de gruerie, de chasse et la propriété des routes ; or la Nation a succédé aux droits du Roi, et si les routes dans la forêt de Sainte-Geneviève étaient routes royales, elles sont devenues, depuis la Révolution , routes nationales et publiques.

Attendu au surplus que Perin n'a causé aucun dommage à Say.

Par ces motifs déboute Say de sa demande et le condamne aux dépens .

 

 

Devant la Cour d'Appel, 25 avril 1894

Le 13 avril 1893, le riche propriétaire, M. Say, par exploit de Clouet, huissier à Montlhéry, fait appel de ce jugement. Le 5 juin 1893, Me Villebœuf, avoué à la Cour , dépose des conclusions pour Say : Attendu que Perin prétendait que les routes n'étaient pas fermées par des barrières, s'appuyant sur une déclaration du maire de Morsang. Mais que c'était faux, ainsi que le constatait le procès-verbal de Courtot, du 30 mars 1893. Que d'autre part, les dites routes appartenaient à Say. Demandait à la Cour : faire défense au sieur Perin, de passer dans les allées, sentiers et chemins de la forêt de Sainte-Geneviève, et de pénétrer dans ladite forêt en bicyclette, à peine de 100 francs par contravention constatée. Le condamner en 50 francs dommages pour préjudice causé.

Me Pouzin, de son côté, déposait le 10 août 1893, des conclusions tendant à ce que la Cour déclare le dit appel nul. Le 25 avril 1894, la septième chambre de la Cour de Paris après plaidoiries de Me Jullemier pour M. Say, de Me Hamel pour M. Perin. «  Adoptant les motifs des premiers juges, met l'appel à néant et condamne Say aux dépens, confirmant ainsi cet attendu du jugement de Corbeil . Depuis la Révolution , les routes de la forêt sont devenues routes nationales et publiques  ». Me Jullemier avait plaidé que sous ce petit procès se cachait une grosse affaire et que M. Say voulait ainsi faire reconnaître son droit de propriété sur les routes, à l'égard de tous, même des communes.

 

 

 

Les fils Perin arrêtés par un garde

M. Say exploitait l'influence qu'il avait dans le pays par sa grande fortune et sa situation de maire de Longpont. Car lui aussi avait été maire ! Il comptait, non sans raison, sur la poltronnerie, la couardise des habitants. Il avait toutes les audaces, lui qui traînait sans pitié devant les tribunaux correctionnels le pauvre diable qui lui prenait un lapin, il n'hésitait pas à s'emparer, à main armée de routes qui ne lui appartenaient à aucun titre. Il comptait s'imposer et faire reculer tout le monde. Il connaissait bien ce sentiment très répandu chez beaucoup de gens, qui, plutôt que d'avoir un procès, des difficultés ou de soutenir une lutte, crient et se plaignent, trouve étrange qu'on n'agisse pas, mais reculent et se laissent dépouiller. C'est la tactique banale du riche contre le pauvre, du fort contre le faible . On imagine que voulant montrer sa puissance à ses amis qu'il invitait à de grandes parties de chasse, l'industriel se considérait chez lui sur tous les territoires de Longpont, Saint-Michel et Sainte-Geneviève, village où bon nombre d'habitants étaient ses employés. Cette fois, M. Say s'était trompé, il trouvait en face de lui un homme. Son habileté s'était retournée contre lui. «  Condamné à me laisser circuler sur les routes, traversant ses bois, il ne voulut pas s'avouer vaincu, il essaya d'un autre procédé plus radical pour empêcher tout le monde de passer  » dit Félix Perin.

À cette époque, son bail pour sa location de chasse sur les bois appartenant à M. Laurent et mitoyens avec les siens était expiré. C'est alors qu'il fit entourer tous ses bois par un grillage continu, percé seulement au droit des allées de quelques portes fermées à clef, coupant ainsi la forêt en deux, et rendant la circulation presque matériellement impossible. «  Ces obstacles cependant ne nous irritèrent pas et nous continuâmes à circuler dans la forêt à bicyclette, lorsqu'on rencontrait une barrière, on l'escaladait ou on la démontait  » dit le récalcitrant M. Perin. «  Le 4 octobre 1894, mes fils Jean et Pierre se promenaient seuls à bicyclette et avaient pénétré dans la partie des bois de M. Say, lorsque pour en sortir, ils se trouvèrent en face d'une barrière, ils s'occupaient à la démonter lorsque survint le garde Thuillier qui leur dressa procès-verbal pour bris de clôture  ».

Nous en donnons ci-dessous copie : Nous certifions que faisant notre tournée à 11 h. 20 du matin dans la forêt du Perray, appartenant à M. Say, sise au terroir de la commune de Sainte-Geneviève, nous avons surpris les nommés : 1° Pierre Perin, âgé de seize ans, et Perin Jean, âgé de dix-huit ans, fils mineurs de Perin Félix, propriétaire, demeurant à Morsang-sur-orge, lesquels fracturaient une porte de grillage faisant clôture, pour se former un passage, les ayant interpellés, ils nous ont répondu qu'ils avaient escaladé un autre grillage et qu'ils passeraient malgré tous les obstacles, que c'étaient des chemins dus et qu'ils se fichaient de M. Say.

Une succession de procès s'ensuivirent. Perin est assigné à comparaître le 24 juillet 1895 devant le tribunal de Corbeil pour répondre des faits de mes fils mineurs. L'avocat de M. Say prétend que son client «  ne doit de passage que sur les chemins publics régulièrement classés et reconnus comme tels, soit comme chemins vicinaux, soit comme chemins ruraux qui sont les suivants : route du Perray, route de la Mare-Tambour , route de Montlhéry à Villemoisson, chemin de Morsang, chemin de la Guette , et route de Châtillon  ». Il convient alors de représenter les actes constitutifs du droit invoqué ou les titres recognitifs et d'établir que les chemins actuels sont ceux existant à cette époque. Qu'au surplus le fait par les propriétaires de posséder ces chemins depuis plus de cent ans sans contestation, leur constituerait un titre de propriété. L'avocat demande de «  Faire défense à Perin de laisser passer ses fils sur les chemins à peine de 100 francs de dommages et intérêts par contravention, et 100 francs pour préjudice causé à la partie  » et de « donner acte à Say, que les communes n'ont jamais surveillé ni entretenu les chemins , qu'ils ne servent pas aux habitants pour un usage public, qu'ils ont été entretenus par lui  ».

Par sa part, Me Chambon pour M . Perin, signifiait des conclusions tendant à ce qu'il plut au tribunal : «  Déclarer que l'énoncé de la demande suffirait à démontrer que Say était sans droit pour former une semblable demande, que Say cherchait à obtenir une décision de justice, dont il put se faire ultérieurement une arme contre tous les intéressés ; que Say ne pouvait mettre Perin en cause, pour demander acte au tribunal de prétentions que celui-ci n'est pas en droit de fournir; qu'en dehors de la demande formée surtout contre les communes, la demande actuelle tendait identiquement aux mêmes fins que la demande précédemment portée devant le tribunal le 26 novembre 1892. Que sur cette demande était intervenu le jugement du 15 mars 1893, confirmé par la Cour le 25 avril 1894, déboutant Say sur sa demande. Que Say ne versait aux débats aucune pièce nouvelle, d'où résultat la preuve de son droit de propriété.

De son côté, Me Gérard, avoué de M. Say, déposait d'autres conclusions, où il était allégué que les personnes poursuivies, n'étaient pas les mêmes : la première fois, c'était Perin père ; la seconde fois, c'était les fils Perin ! La première demande visait toutes les routes, la seconde comportait des restrictions, il n'y était réclamé que les chemins établis par M. Say ou ses auteurs. Que les fils Perin avaient prétendu qu'ils passeraient malgré tous les obstacles, que Say ne pouvait se laisser poser de semblables prétentions. Qu'en escaladant un grillage et en brisant un autre, les fils Perin avaient causé un dommage matériel qui ne pouvait être évalué à moins de 100 francs, etc. Me Jullemier plaidait pour M. Say. Me Hamel plaidait pour M. Perin.

 

Carte de la forêt de Séquigny sur la carte des Environs de Paris (1900).

 

À la date du 24 juillet 1895, le Tribunal rendait le jugement que voici : « En ce qui concerne la partie de la demande touchant les intérêts publics des communes : attendu l'instance formée par Say contre Perin, sous les apparences d'une simple demande en dommages et intérêts, masque la reconnaissance au profit de Say de droits très importants, qui ne peuvent se décider contre Perin, mais bien seulement contre les communes qui bénéficient de l'usage des chemins dans la forêt de Sainte-Geneviève. Que Perin n'a aucune qualité pour répondre au nom des communes intéressées, qu'il y a donc lieu sur ce chef de débouter Say. Qu'en ce qui concerne le portillon brisé, le tribunal estime à 5 francs la réparation. En conséquence, déboute Say de sa demande en reconnaissance de chemins publics ou privés; mais condamne Perin à 5 francs pour bris du portillon. M. Say ne fit pas appel.

 

 

Say sommé d'enlever les barrières

Le contentieux qui semblait éteint, se ralluma aussitôt car Félix Perin était tenace. «  Ce jugement me renvoyait absous, mais pas entièrement satisfait : les barrières étaient toujours fermées; et malgré trois décisions de justice qui constataient mon droit de circuler sur les routes, le passage m'en était matériellement impossible, puisque M. Say, maintenait ses barrières et que pour exercer mon droit, j'aurais été obligé de les briser!  » dit Perin. «  Ce qui m'exposait à des procès qui auraient été sans fin. Dans cette situation, et pour ne pas me faire justice moi-même, je pris le parti de prendre l'offensive et de demander au tribunal d'ordonner l'enlèvement de toutes les entraves apportées par Say à ma libre circulation sur les routes de la forêt  ».

Le 19 juin 1896, par Simon, huissier à Savigny, fut fait un procès-verbal de constat, qui relate que la majeure partie des chemins de la forêt de Sainte-Geneviève étaient obstrués ou barrés aux points où ils pénètrent dans la propriété du sieur Say, par des barrières de diverses formes, et que certaines parties de la forêt sont mêmes encloses complètement par un grillage en fil de fer garni de ronces, lequel interdit complètement l'accès et la circulation sur les chemins enfermés dans ces parties. Ce constat était signifié à M. Say le 17 août 1896, avec sommation d'avoir à supprimer toutes les entraves apportées par lui à ma libre circulation sur les routes.

Le 23 octobre 1896, requête par Rousseaux, avoué à Corbeil, au président du tribunal, pour qu'il lui plaise d'assigner Say, pour qu'il soit tenu d'enlever, dans la huitaine, ses barrières, faute de quoi il sera condamné à 10 francs par jour de retard, et Perin autorisé à les faire enlever. Le 26 Octobre 1896, Simon, huissier assigne Say, de comparaître devant le tribunal de Corbeil. Parmi les conclusions de Me Hamel pour M. Perin, nous lisons «  Que c'est justement, pour n'avoir plus à se faire justice lui-même, que Perin est obligé à son tour de s'adresser au tribunal. Que ce que Perin revendique comme au premier jour, mais cette fois fort de la chose jugée, c'est la liberté de passer et la suppression des obstacles mis par Say, à l'exercice de son droit judiciairement reconnu. Attendu que dans ces diverses instances Say ne verse ni n'a versé aux débats aucun titre de propriété…  ». Maître Gérard pour M. Say signifiait sa réponse le 2 novembre 1896 en jouant sur les termes «  routes  » et «  sentiers  » pour réclamer la propriété des chemins forestiers.

Le 30 décembre 1896, le tribunat de Corbeil rendait son jugement. M. Hamel, avocat et Rousseaux, avoué pour Perin et M. Jullemier, avocat, Gérard, avoué pour Say entendent le juge dire : «  Et sans avoir égard aux moyens proposés par Say, le tribunal dit que c'est à tort et sans droit qu'il a établi des barrières en vue d'entraver la libre circulation sur les routes et chemins existant de temps immémorial dans la forêt de Sainte-Geneviève ; ordonne que dans le délai de huit jours à dater de la signification du présent jugement, il sera tenu de supprimer sur les dits chemins, les entraves apportées par lui à la libre circulation , et ce sous une astreinte de cinq francs par jour et par barrière dûment constatée ; dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts et condamne Say aux dépens  ». Ce jugement est signifié à Me Gérard par Me Rousseaux le 20 janvier 1897, et à M. Say par Simon, huissier, le 23 janvier 1897.

 

 

Devant la cour d'Appel

Par le ministère de Colin, huissier à Montlhéry, Say signifie qu'il fait appel du jugement de Corbeil du 30 décembre 1896. Le 13 février 1897, Perin fait dresser un procès-verbal de constat qui constate sur les parties de bois appartenant à M. Say, l'existence de vingt et une barrières de différentes natures : bois, grillages, branchages, etc. Le 28 décembre 1900 l 'affaire vint devant la troisième Chambre de la Cour plaidée par Me Hamel pour Perin et par Me Jullemier pour les héritiers Say (M. Say était décédé au mois de janvier 1899).

«  La Cour par adoption de motifs, confirme le jugement de Corbeil du 30 décembre 1896 ; dit néanmoins que l' astreinte prononcée par les premiers juges ne commencerait à courir que dans le délai de huit jours à partir de la signification du présent arrêt, et condamnait Say aux dépens ». Cet arrêt fut signifié le 8 février 1901, et dans le constat fait le même jour, on releva treize entraves sur les routes, qui, à 5 francs par jour, devaient produire 65 francs par jour jusqu'à l'enlèvement de toutes ces entraves.

 

 

Paiement de l'astreinte

Un nouveau constat fait le 21 mai 1901, révéla la présence des mêmes entraves. Le paiement de l'astreinte jusqu'à ce jour : cent deux jours à 65 francs, soit 6.630 francs fut réclamé à la famille Say. La famille Say refusa de payer. Une nouvelle assignation fut déposée devant le tribunal de Corbeil ; l'affaire vint le 26 décembre 1901 , et après plaidoiries de Me Gérard pour la famille Say et de Me Hamel pour Perin, le tribunal rendit un jugement dont voici la conclusion est la suivante :

«  Déclare les consort Say mal fondés en leur opposition au commandement du dix-neuf Juin mil neuf cent un. Dit et juge qu'il n'y a lieu à interprétation du jugement du trente décembre mil huit cent quatre-vingt-seize, ni de l'arrêt du vingt-huit décembre mil neuf cent. Ordonne en conséquence la continuation des poursuites. Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution. Et condamne les consorts Say solidairement en tous les dépens  ».

La famille Say versa la somme à laquelle le tribunal la condamnait et effrayée de l'importance que pourrait atteindre l'astreinte si elle persistait à refuser de se soumettre au jugement de Corbeil du 30 décembre 1896, elle se décida enfin à enlever toutes les barrières et les entraves apportées à la libre circulation sur les routes. Elle fit cependant appel du dernier jugement, mais bien conseillée cette fois, elle me fit proposer une transaction que Perin empressa d'accepter.

Ainsi se terminèrent mes démêlés de Félix Perin avec M. Say et ses héritiers. «  Je crois pouvoir être fier du résultat obtenu, non sans peine et beaucoup d'argent. Enfin aujourd'hui, grâce à mon énergie persévérante, toutes les routes de cette partie de la forêt sont rendues à la circulation; chacun peut s'en servir librement et s'y promener en toute sécurité sans crainte d'être molesté   », nous dit l'intéressé (3). Et maintenant que les habitants sont rentrés en possession de leur bien, espérons qu'ils auront l'énergie de le défendre.

À suivre…

 

 

Notes

(*) Madame Evelyne Verdière, présidente de la Société historique de Morsang-sur-Orge, est vivement remerciée pour ses encouragements et l'apport de la numérisation du livre de M. Félix Perin.

(1) F. Perin, La forêt de Séquigny ou de Sainte-Geneviève, histoire, droits d'usages, routes, chasse, Procès ( Morris père et fils, Paris, 1903).

(3) En bâtissant sa défense M. Perin était devenu un juriste accompli. D'abord, il trouva dans les Archives municipales quelques pièces anciennes concernant les droits d'usages . Aux Archives nationales à Paris, ses recherches furent couronnées de succès : arrêts du Conseil d'État, ordonnances, procès-verbaux, devis d'entretien des routes, et les procès-verbaux des travaux de 1736 pour l'ouverture d'un certain nombre de routes et de leur prolongement en 1771. Le décret de l'Assemblée nationale des 22 novembre et 1er décembre 1790 démontra qu'après la Révolution , les routes, loin de devenir ipso facto propriété des riverains étaient passées du domaine royal dans le domaine public. Le cadastre est le titre de propriété par excellence pour les communes et les particuliers. Il indique, avec une précision parfaite toutes les parcelles de terrain si petites soient-elles, et donne le nom de tous les propriétaires de ces parcelles qui se sont succédé depuis 1811, époque de son établissement, avec les dates de leurs prises de possession. Enfin la loi du 20 août 1881 dit que ( art. 3) «  tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé  ».