La forêt de Sequigny L'extraction de la meulière
La construction de la ligne de chemin de fer Paris-Orléans fut fatale pour la forêt de Séquigny.
À partir des années 1870, la forêt de Séquigny fut bouleversée par l'ouverture de carrières pour extraire la pierre meulière. Outre un déboisement intensif, les carriers qui extrayaient de la meulière dans les carrés de la forêt, s'étaient bien permis, en poursuivant les filons qui passaient sous les routes forestières. Certaines furent fermées et accaparées par les propriétaires ou les entrepreneurs, d'autres devinrent impraticables. On ferma les yeux. Après cet épisode qui dura une bonne trentaine d'année, la forêt était anéantie, le terrain était prêt pour les lotisseurs et promoteurs de tout poil.
Cette chronique résume l'histoire de la fin de la forêt de Séquigny qui fut saignée à blanc. L'exploitation de la pierre meulière fut décrite soigneusement par M. Maurice Binant, instituteur de Morsang-sur-Orge, auteur de la monographie de 1899 (1) et par Monsieur Félix Perin qui continua son combat pour faire respecter la libre circulation sur les routes et chemins forestiers (2). Des procès eurent lieu où l'on voit les communes attaquer les entreprises d'extraction.
C.Julien Mars 2013
La forêt de Séquigny en 1900
Vers la fin du XVIIIe siècle, le comte Louis-Bénigne-François Bertier de Sauvigny, dernier intendant de Paris, était devenu par suite d'achats, propriétaire de toute la forêt de Sainte-Geneviève; ainsi qu'en ferait foi une pièce de 1785. Mais s'il était possesseur de tous les bois, le roi était resté propriétaire de toutes les routes créées par Sa Majesté. Ce comte de Bertier de Sauvigny serait donc l'auteur commun de tous les propriétaires actuels de la forêt, et c'est à lui que ceux-ci doivent remonter s'ils veulent trouver un titre de propriété qui précisera d'une façon certaine leurs droits sur les routes : titre bien authentique celui-là qui leur sera bien propre et contre lequel ils ne pourront prescrire.
Pendant la Première République, la Nation nomma un administrateur, le citoyen David, pour gérer ses biens au nom des enfants et héritiers de Bertier. Puis, en conformité de la loi du 1er floréal an III, le dit administrateur divisa les terres et bois en autant de lots qu'il y avait d'héritiers. La formation de ces lots fut approuvée par les membres du bureau national du département de la Seine , et les lots furent tirés au sort entre les héritiers. Ceux d'entre eux qui n'avaient pas émigré furent mis en possession chacun de son lot, le 19 brumaire an V, les autres lots furent vendus comme biens nationaux.
Les héritiers du comte Bertier de Sauvigny qui prirent part au partage du 19 brumaire an V, ou du moins ceux que nous connaissons et qui nous intéressent étaient :
- le vicomte Anne-Pierre de Bertier de Sequigny , (il ajouta « de Sequigny » à son patronyme) qui devint, par la suite, général, maréchal de camp des armées du Roi, eut pour sa part le château de Sainte-Geneviève et la plus grande partie des terres situées sur les communes de Sainte-Geneviève et de Villemoisson, et quelques petites parcelles sur Morsang.
- le comte Louis Benigne de Bertier eut pour sa part : le Bois de la Cambre , la Queue-de -Viry et le Marché-vilain, sur la commune de Morsang.
- Antoinette-Bernarde de Bertier, femme de Centurion de Pardieu.
- Bernarde-Françoise de Bertier, femme de Jérôme de la Myre-Maury .
Son fils Louis-René , fils du Vicomte Anne-Pierre, en hérita le 10 deptembre 1848 ; et le comte de Bertier , René-Auguste-Anatole en devint à son tour propriétaire à la mort de son père, le 27 juin 1877. Il a vendu, en 1898, les 15 octobre et 6 novembre, à Brière Jean-François tout ce qui lui appartenait sur Villemoisson et Morsang. En 1900, il ne possèdait plus que le morceau de la forêt en partie défrichée qui est limité à l'ouest par la route départementale et au Nord par la route de la Gilquinière.
Au cours du XIXe siècle, nous assistons à de multiples ventes et successions. Un très beau domaine fut démembré lors de l'enchère du 9 mai 1863, et par quelles filières il a passé pour arriver aux mains des propriétaires actuels, MM. Moynat, Bouton et Piketty, Desroques-Dulauroy, Durocher et Laurent. M. Moynat a acheté les bois du marquis de Talhouët-Roy, le 6 janvier 1897. À l'enchère de Bullion, le 9 mai 1863, 9 hectares 33 ares avaient été adjugés au profit de Duval, qui les vendit à Bouton le 15 octobre 1890. Lors de la vente par les héritiers Rabourdin, le 5 juillet 1890, Bouton récupéra les 13 h. 85 a 15 c., septième lot de l'enchère de Bullion. Etc…
Exploitation des carrières
Laissons M. Maurice Binant nous exposer son analyse de l'industrie sur la commune de Morsang-sur-Orge à la fin du XIXe siècle. Elle consiste uniquement dans l'exploitation des carrières qui se fait à ciel ouvert. On trouve à Morsang trois sortes de pierre :
- la meulière propre à la construction poreuse quoique non gélive ( 800 kg le mètre cube) mais suffisamment résistante à l'écrasement ;
- la caillasse plus siliceuse, plus lourde ( 2.500 kg le mètre cube) qu'on utilise pour le macadam des routes et chemins
- et enfin la pierre à meules pour moulins.
Ces trois sortes se trouvent souvent mélangées. La pierre existe presque partout, plus ou moins abondante. Avant d'ouvrir une carrière, les ouvriers commencent par sonder le terrain soit avec la pince-levier, forte tige de fer de trois à quatre mètres de longueur, soit avec la tarière. Si la pierre est rencontrée par ces outils, on creuse des repères, sortes de fosse de deux mètres de longueur, un mètre de largeur et deux à trois mètres de profondeur. Si l'endroit est reconnu favorable, on procède alors à la découverte, c'est-à-dire l'enlèvement des terres sur une surface de trente ou quarante mètres carrés. Dans ces terres de déblais, on rencontre assez souvent blocs erratiques de grès rouge, amenés par là par les eaux à une époque très reculée. Jamais ces grès, qui ont tous une forme à peu près arrondie, ne se rencontrent plus profondément dans les couches sédimentaires de meulière.
L'exploitation proprement dite commence alors. Les pierres réduites en fragments de 10 décimètres cubes en moyenne sont sorties de la carrière à la brouette sur des plans inclinés formés de solides madriers dits plats bords. Lorsque le bloc est plus considérable pour que les pinces puissent le soulever et les masses (ou marteaux) le débiter, on a recours à la poudre ou à la dynamite. Un trou de trois centimètres de diamètre environ est alors percé, avec un burin d'acier, dans la partie centrale du bloc à disloquer et jusqu'au tiers de son épaisseur. Une cartouche de dynamite amorcée est placée au fond de ce trou, qu'on rempli d'eau ou de terre après avoir disposé une mèche dont la longueur est calculée de façon à laisser en brûlant à raison de 30 centimètres par minute, un temps suffisant pour que les carriers puissent s'éloigner de 100 mètres au moins, du point de l'explosion. Ils ont préalablement crié à diverses reprises : « Gare la mine ! ». L'exploitation se continue jusqu'à 6, 7 ou 8 mètres de profondeur, elle est toujours arrêtée par l'eau.
La meulière ne forme pas un bloc unique, mais bien différentes couches, ayant un mètre cinquante d'épaisseur au maximum, séparées entre elles par une petite épaisseur d'argile rouge. Elle ne s'étend pas dans le sous-sol en sorte de nappe ou de banc continu, mais se trouve seulement par filons ou « bouquets ».
On a extrait du territoire de Morsang-sur-Orge, depuis 30 ans, deux millions de mètres cubes de pierre environ. Presque toute cette quantité a été transportée à Paris. Un chemin de fer industriel, affecté uniquement à cet usage traverse avec diverses ramifications la forêt et le plateau et descend la pierre au port de Châtillon, près de Viry sur la Seine, d'où les bateaux la transportent à Paris, quai Henri IV. Elle y est vendue de 10 à 14 francs le mètre cube (3).
Le propriétaire du terrain, s'il n'exploite pas lui-même, reçoit du tâcheron ou de l'entrepreneur de l'extraction un droit de fortage de un franc environ par mètre cube de pierre enlevée.
D'une bonne carrière, on peut retirer 10 mètres cubes de pierre par mètre superficiel, et dans les meilleures, on a obtenu jusqu'à 18 mètres cubes sous cette petit surface. Un hectare peut produire en moyenne 20.000 mètres cubes ; certain hectare en a produit 120.000 mètres .
Les ouvriers carriers sont payés à raison de 2 fr 50 (prix moyen) par mètre cube de pierre extraite. Ce prix comprend le travail préalable de découverte, mais le recomblage de la carrière après l'extraction est payé en sus, à raison de 0 fr 25 par mètre superficiel.
Les carriers peuvent gagner, en moyenne, 3 frs par jour. Ce sont pour la plupart des ouvriers italiens (Piémontais) et autriciens (Tyroliens).
Carrière en exploitation dans la forêt de Séquigny.
Depuis l'application de la loi du 8 août 1893, jusqu'au 15 septembre 1899, 544 de ces étrangers, venant directement de leur pays à Morsang ont fait à la mairie la déclaration de résidence prescrite. Ils vivent à 10, 15 ou 20 ensemble chez des logeurs cantiniers leurs compatriotes, et dans la belle saison établissent parfois des campements sur le lieu même de leurs travaux.
Pour sa part, M. Louis Victorien Guérin, instituteur à Villemoisson remarque : « On y extrait de grandes quantités de pierres meulières pour les routes et les constructions. Ces pierres sont en partie dirigées sur Paris, on y fabrique des meules pour ciments et matières céramiques ».
Les objections de M. Perin
Pour sa part M. Félix Perin fait état de ses luttes contre les propriétaires et les concessionnaires des carrières. Il faut avouer que la situation était embrouillée par les cessions et les ventes avec des modifications des titres de propriétés et des déclarations de prescription. Depuis 1870, on perça les routes du Prince et de Fleury, de porter quelques rares atteintes à celles-ci, mais ces trous recomblés aussitôt, n'interrompaient pas la circulation. En 1874, Mme la comtesse de Rigny fit placer des barrières en fer mobiles sur la route du Prince, et fit bâtir en même temps un pavillon de chasse qui empiétait sur la moitié de la route, Mais ce pavillon, placé au centre d'un vaste rond-point, ne gênait pas le passage, non plus que les barrières en fer toujours ouvertes.
Ces empiétements étaient des faits isolés contre lesquels on ne songea pas à sévir, parce que, les routes restant libres, la circulation n'étant pas interrompue, ils ne gênaient personne.
Mais vers 1890, après un séjour de quelques années en Amérique, M. Henri Say revient au château de Lormois, situé sur les communes de Longpont et de Saint-Michel-sur-Orge. Il se rend acquéreur de la partie occidentale de la forêt et locataire pour la chasse de toute la partie qui est sur Villemoisson et d'une grande partie de Morsang-sur-Orge. Puis, il fait placer à toutes les entrées des routes, des écriteaux défendant au public de pénétrer dans les allées, sentiers ou chemins de la forêt sous peine d'amende. Il mobilise toute une armée de gardes auxquels il donne les consignes et les ordres les plus sévères. En un mot, il organise la terreur dans la forêt ; si bien que tout le monde est intimidé par ce déploiement de force et personne n'ose plus y pénétrer dans la crainte d'être menacé, injurié, molesté par les gardes.
En 1894, M . Say, pour bien faire voir combien il se moquait des droits des populations environnantes, eut l'audace incroyable de faire barrer toutes les routes par des barrières fermées à clef. En même temps, M. le comte de Bertier qui avait loué à M. Say la chasse de plaine dans les parties de la forêt lui appartenant et défrichées par lui , fit placer en bordure de ces parties un grillage qui les isolait de la forêt et coupait les communications sur les routes de la Croix-de -Villemoisson, de Fleury, de Viry, du Parc Pierre et du Perray.
Par un bail, en date du 12 juillet 1887, il louait à la Société Civet , Crouet, Gautier et Cie, le droit d'extraire de la pierre dans ses terres et bois. Au cours de son exploitation, la Société attaqua les routes du Perray, du Carrefour-de-l'Eperon et du Parc-Pierre - mais ces quatre trous rebouchés ou contournés, n'entravent pas la circulation, sauf celui de la route du Parc-Pierre. À cette époque, l'extraction de la meulière, dans la forêt de Sainte-Geneviève, avait pris un développement considérable . Des chemins de fer avaient été établis dans toutes les directions pour faciliter le transport depuis la forêt jusqu'au port de Châtillon. Le chemin de fer prolongé d'abord jusqu'à la route départementale de Versailles à Corbeil traversait cette route depuis le 6 décembre 1878, et venait aboutir sur le territoire de Villemoisson. Les propriétaires qui n'extrayaient pas eux-mêmes, firent extraire par des entrepreneurs : MM. Ravel, Bouton et Piketty, Dubois, Civet-Crouet et Cie, etc. Des légions d'italiens, originaires la plupart de la Lombardie ou de la Vénétie , vinrent s'établir à Morsang pour se livrer aux travaux des carrières.
Cependant, jusqu'au 1895, les routes surveillées par le maire furent à peu près respectées : nous en avons pour preuve des lettres du Directeur de la Société des briques et meulières de la Haute-Seine (26 février l885), de MM. Bouton et Piketty (15 janvier 1894), de M. Bonnaire, architecte de la marquise de Talhouët (23 janvier 1894).
En mai 1896, M . Louis Gibert, le régisseur de M. Durocher (l'un des grands propriétaires de la forêt), devint maire de Morsang. M. Durocher comme les autres propriétaires de la forêt, faisait tirer de la pierre dans ses bois. Il trouvait gênant, lorsqu'un filon entamé sur son terrain se continuait sous une route, de renoncer à la pierre qui s'y trouvait. La tentation était trop forte. Aussi, profitant du mandat municipal de son commis, qui est en même temps son oncle, et sûr de l'impunité, il fit défoncer les routes pour en extraire la pierre qu'il y rencontrait.
Le maire-régisseur n'hésita pas entre sa commune et son patron. Il trahit celle-là au profit de celui-ci. Un flagrant conflit d'intérêt qui passa inaperçu par l'autorité préfectorale.
Le repas des carriers
À partir de ce moment, les autres propriétaires, MM. Laurent, Desroques, Piketty, Moynat, délivrés de toute crainte de poursuites, encouragés par l'exemple du maire, défoncèrent sans scrupule les routes limitrophes de leurs propriétés et saccagèrent la forêt de fond en comble . D'un côté, les routes étaient barrées par les grillages Say et de Bertier d'autre part, elles étaient rendues impraticables par les trous de carrières qui atteignent quelquefois 7 et 8 mètres de profondeur. La forêt devint inabordable. Les populations expulsées de la forêt, privées de leur chemin, étaient exaspérées, tout le monde criait et se plaignait, mais personne n'osait agir, dans le doute où l'on était toujours.
Les maires qui auraient dû prendre en mains la cause de leurs administrés s'entendaient avec les propriétaires ou en avaient peur. Et si cette situation s'était prolongée, c'en était fait à jamais des routes de la forêt. Mais les municipalités enfin émues des clameurs de l'opinion publique et instruites de leurs droits, secouèrent le joug du maire et se décidèrent à agir et à se défendre contre l'envahissement.
Les carriers et leurs outils : pioches, pelles et pinces leviers.
La meulière tirée du sol des routes
Poursuivant son combat pour la sauvegarde des routes et chemins de la forêt de Séquigny, M. Félix Perin nous explique « J'eus la curiosité de rechercher la quantité approximative de meulières que les carriers avaient pu tirer du sol des routes. C'était un travail assez délicat, car il eut été trop long et presque impossible de cuber tous les trous, je dus me contenter d'un calcul approximatif ».
Il est de notoriété publique que dans les parties exploitées de la forêt on a tiré environ 20.000 mètres cubes de pierre par hectare, soit 2 mètres cubes par mètre superficiel. Les carriers, dans ces dernières années, ont exploité la forêt sans tenir compte des routes. Il s'ensuit que le cube de pierre enlevé des routes est proportionnel à la superficie de ces routes dans la traversée des parties exploitées.
Or nous avons constaté que dans les parties exploitées de la seule section E de la forêt (sur le territoire de Morsang-sur-Orge : la route de la princesse a 450 mètres de long ; la route du Prince 860 ; la route de la Croix 300 ; la route du Long-Foin 600 ; la route de Viry 450 ; la route de Grigny 200 ; la route des Carrières 300 ; la route de Fleury 700. Les routes ont ensemble 3.860 mètres de long. Ce qui, sur une largeur moyenne de 3 mètres , donne11.580 mètres superficiels, d'où on aurait extrait 23.160 mètres cubes de pierre.
Or la pierre se vend de 3 fr. 75 à 4 francs le mètre, les frais d'extraction sont de 1 fr.75 à 2 francs le mètre, il reste un bénéfice moyen de 2 francs par mètre ; soit, pour 23.160 mètres cubes , un bénéfice de 46.320 francs réalisés par les carriers dans le sol des routes qui ne leur appartiennent pas sur le territoire de la commune de Morsang.
Il y a plus, conformément à l'article 206 de l'arrêté préfectoral du 27 décembre 1872 portant règlement sur les chemins vicinaux, il est interdit d'ouvrir, dans le voisinage des dits chemins, des carrières à ciel ouvert, si ce n'est à une distance de quinze mètres , à partir de la limite des dits chemins (lettre du sous-préfet du 25 octobre 1883). Les carriers se sont encore moins préoccupés de ces quinze mètres réservés à droite et à gauche que du sol des routes. Ils ont tout fouillé, et si on voulait calculer le bénéfice illicite qu'ils ont réalisé de ce chef, on serait stupéfait du chiffre auquel on arrive. « Ces calculs sont très approximatifs et je ne les donne qu'à titre de renseignements qu'on pourra vérifier », nous dit Félix Perin.
La guerre entre les entrepreneurs
Les intérêts économiques des entreprises d'extraction de la meulière furent exacerbées, certains carriers cherchaient à gêner leurs concurrents en barrant les routes. M. Perin explique : « En continuant mes recherches, je découvris que, bien que la loi ne fasse pas aux maires une obligation de surveiller et entretenir les chemins, les maires qui se sont succédé à Morsang, avaient toujours exercé une surveillance et maintenu la liberté des chemins de la forêt ».
En 1885, M . Bouton s'étant permis d'entraver un chemin de la forêt, M. Jacquelin, administrateur délégué de la Société anonyme des meulières et briques de la Haute-Seine . La teneur de la lettre écrite et datée du pavillon « La forêt, le 26 janvier 1885 » est la suivante « Monsieur, Nous avons l'honneur de nous permettre d'insister à nouveau près de vous pour protester contre la suppression du chemin de la Forêt , à Morsang, suppression opérée par M. Bouton contre tout droit. Nous faisons donc toutes réserves contre la manière d'agir de M. Bouton ». M. Laurent, l'un des propriétaires de la forêt, adressa au maire une plainte. Celui-ci fit rétablir le chemin en état.
En 1894, Mme la marquise de Talhouët ayant fait couper par un fossé la route de la Queue-de -Viry, MM. Bouton et Piketty (c'est le même Bouton dont on se plaignait en 1885) s'adressèrent au maire de Morsang pour se faire rendre justice et lui demander de faire rétablir la route. Le maire qui était à cette époque l'honorable M. Furet, fit les démarches nécessaires, Mme de Talhouët se rendit à ses observations, et le 23 Janvier, M. Bonnaire, architecte, informait le maire qu'il avait fait boucher la tranchée du chemin de la Queue-de -Viry.
Nous reproduisons ci-dessous ces deux lettres :
- Paris, le 15 Janvier 1894 à M. le Maire de la commune de Morsang sur Orge (Seine-et-Oise). Nous avons l'avantage de venir vous renouveler notre lettre du 23 novembre 1893, relative au chemin de la Queue-de -Viry à Sainte-Geneviève, qui a été coupé par un fossé sur votre commune dans la propriété des héritiers de Mme la marquise de Talhouët. Ce chemin est encore coupé à l'heure présente et nous ne pouvons accéder en voiture à nos propriétés de la Greffière. Recevez, etc. Signé, A. Bouton et Ch. Piketty.
- Longjumeau, le 23 janvier 1894, à M. le maire de Morsang-sur-Orge. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, j'ai donné les ordres nécessaires pour boucher la tranchée coupant le chemin de la Queue-de -Viry dans la forêt de Sainte-Geneviève. Et vous prie de vouloir bien prier les autres propriétaires d'en faire autant. Recevez, etc. Signé, Bonnaire, architecte à Longjumeau.
Signalons que les terres de Madame la marquise de Talhouët sont passées à Madame la comtesse de Rigny, sa fille, puis à M. Moynat. La propriété de MM. Bouton et Piketty est en effet enclavée au milieu de la forêt et on peut se demander comment on pourrait y arriver ou en sortir si les routes n'étaient pas libres. La même question se pose en ce qui touche les bois de Madame Dulauroy-Desroques.
Incidents au Conseil municipal de Morsang-sur-Orge
À cette époque, M. Perin, qui n'était qu'un simple citoyen de la commune eut plusieurs entretiens avec le maire, M. Louis Gibert, le régisseur de M. Durocher . « Celui-ci me fit d'abord très bonne figure, me promit que malgré son patron, il allait s'occuper activement de la question et m'annonça la communication de documents très précieux qu'il possédait, mais il ne m'envoya jamais rien ; une fois le dos tourné, il se moquait de moi, et je compris de suite qu'il cherchait à me berner par tous les moyens, pour m'empêcher de m'occuper de cette question. Il avait personnellement trop grand intérêt à la faire avorter puisqu'il avait lui-même, pour le compte de son patron, donné le signal du défoncement des routes », dit M. Perin.
Les choses en étaient là, lorsqu'en 1897 un incident se produisit au Conseil municipal de Morsang. Le maire proposait au Conseil d'extraire la pierre qui se trouve sous deux chemins de la plaine, la voie de Compiègne et le chemin de la Greffière, pour la faire servir aux empierrements des divers chemins de la commune. Cette opération, selon lui, devait être très avantageuse à la commune, qui aurait eu ainsi de la pierre sans bourse délier, et qui, de plus, en aurait eu à revendre. Mais ce qu'il ne disait pas, c'est que lui aussi devait y trouver un très gros bénéfice. En effet, son patron, qui est aussi son neveu, était propriétaire des terrains traversés par ces deux routes, et si la commune avait tiré la pierre sous les chemins, lui, de son côté aurait pu tirer celle qui se trouve en bordure (ce qu'il ne pouvait faire à cause du règlement qui défend de tirer de la pierre à moins de quinze mètres d'une route).
Cette proposition du Maire suggéra à l'un des Conseillers municipaux cette réflexion : «Mais si la pierre qui se trouve sous la voie de Compiègne et sous le chemin de la Greffière nous appartient, la pierre qui se trouvait sous les routes de la forêt, dont nous sommes propriétaires, nous appartenait également, et ceux qui l'ont enlevée ont enlevé notre bien. Nous avons donc le devoir de leur en demander la restitution ».
Le Maire n'était plus de cet avis. Néanmoins, la question fut soulevée à la première séance du Conseil, à la session de juillet, et la délibération suivante fut prise à l'unanimité moins une voix, celle du Maire !!!
Plusieurs personnes, membres du Conseil et autres, vinrent demander à M. Perin d'expliquer en public ce qu'il savait sur la question. Sans se faire prier, le 14 novembre 1897, il fit aux habitants une petite conférence dans laquelle il raconta l'histoire de la forêt et de ses routes, et développa tous les documents en sa possession. M. Perin engagea fortement la municipalité à défendre les droits de la commune. Cette conférence eut un très grand succès et beaucoup de retentissement dans les communes environnantes.
Huit jours après, il y avait réunion du Conseil municipal. Le maire fut mis en demeure de se prononcer et d'agir. Mais empêché par ses liens de famille et ses relations avec les divers propriétaires de la forêt, il ne voulut pas aller contre ses propres intérêts et refusa de rien faire. Sommé alors de donner sa démission, il résista et eut même l'audace d'écrire dans un journal local, l'Indépendant de Seine-et-Oise du 2 janvier 1898, qu'il chasserait le Conseil à coups de balai . Devant cette situation les conseillers donnèrent en bloc leur démission, mais furent réélus avec une majorité écrasante formée contre ce maire étrange. Malgré cet échec, il se cramponnait encore à son écharpe et refusait de se retirer. Et il fallut lui faire sentir que ce n'était pas lui qui tenait le manche du balai pour l'obliger enfin à déguerpir.
Pendant que ces événements se passaient à Morsang, les conseils municipaux de Villemoisson et de Sainte-Geneviève votaient d'enthousiasme et à l'unanimité la poursuite de la revendication de leurs droits sur les routes de la forêt. Élu conseiller municipal le 3 avril 1898, M . Félix Perin fut nommé maire le 12 mai suivant. « Pour obéir au vœu des électeurs et de la municipalité, je pris immédiatement en mains cette affaire des routes. Je fis dresser des procès-verbaux contre les propriétaires qui les avaient dégradées ou obstruées » nous dit Monsieur le maire.
La visite du Tribunal de Corbeil
Faisant suite à la cause plaidée pour la propriétés des routes de la forêts de Séquigny, le tribunal de Corbeil ordonna dans son jugement du 29 mars 1899, la visite des lieux par le président, le greffier principal, les avoués et les plaignants, propriétaires et représentant des communes. M. Félix Perin donne un compte-rendu détaillé de la visite qui eut lieu le 15 mai 1899. Nous apportons la constatation des carrières en activité à cette époque.
On fit ainsi parcourir au Président une douzaine de kilomètres à travers la forêt, tant sur les routes litigieuses. Près du pavillon de chasse de M. Moynat, sur la route du Prince « Là, on tomba dans des carrières immenses, où de nombreux ouvriers extrayaient de la meulière. Il fallut en escalader des tas, franchir péniblement des tranchées profondes, sur des planches vacillantes posées d'un bord à l'autre des trous, traverser un terrain rempli de trous et de pierres, où on risquait à chaque pas d'attraper une entorse. Plus loin, c'étaient des abatis d'arbres coupés en vue d'une nouvelle extraction de pierres et qu'il fallut aussi franchir en sautant par-dessus les troncs coupés et gisant sur le sol ».
L'après-midi, la petite troupe arrive au carrefour de l'Éperon. « Là, on se trouva dans un véritable chaos formé par les carrières de MM. Bouton et Piketty, en pleine exploitation et dans lesquelles la route de Fleury disparaissait absolument. On s'avança un peu sur la route des Carrières, très défoncée par des carrières récentes, mais à peu près remise en état de viabilité. Les recherches faites sur place ne purent faire découvrir un arbre ancien dans les trous défonçant le sol de la route… On suivit la route du Prince dans la partie qui longe le bois de la Cambre et on se trouva encore dans des carrières, celles-ci dans le terrain de M. Durocher et sur le sol même de la route et qui étaient aussi en pleine exploitation ».
À suivre…
Notes
(*) Madame Evelyne Verdière, présidente de la Société historique de Morsang-sur-Orge, est vivement remerciée pour ses encouragements et l'apport de la numérisation du livre de M. Félix Perin.
(1) M. Binant, Monographie de Morsang-sur-Orge pour l'Exposition Universelle de 1900 (20 septembre 1899).