Domaine de Villebouzin (une enquête historique)
Cette chronique est un essai d'attribution de la propriété du fief de la Motte et/ou du domaine de Villebouzin (comm. Longpont-sur-Orge, Essonne). Autant connaissons-nous l'étendue et la juridiction de la seigneurie de Villebouzin au XVIIIe siècle, autant les documents antérieurs au XVIe siècle sont éparses et semblent contradictoires. Notre reconstitution de l'origine patrimoniale repose sur un seul document du XIVe siècle et sur des hypothèses déduites de la généalogie des seigneurs de Montlhéry et de la maison des Meulan. Bien évidemment toutes les questions restent sans réponses.
C. Julien . Septembre 2015.
Plan de la terre et seigneurie de Villebouzin (XVIIIe s.).
Les documents historiques
L'année 1357 est une date capitale dans l'histoire du domaine de Villebouzin. C'est, en effet, à partir de cette année que les renseignements sont plus précis, et que s'établit la liste complète, sans aucune lacune, des seigneurs et possesseurs successifs jusqu'à nos jours.
À la date du 24 juillet 1357, figure dans l'inventaire des titres des Comté et Châtellenie de Montlhéry (cote E suppl 340), copie de la vente faite par « Amaury du Meulan, Syr de Neufbourg, aux écoliers de Saint-Nicolas du Louvre et des Bons-Enfants de Paris, du fief en Ménil-sous-Longpont, mouvance du Roy ».
Villebouzin comprend alors, en effet, les fiefs du Ménil, du Boulay, des Fontenelles, des Gabrieles et de Cens communs. Ladite vente: avait été faite devant Martin du Croix notaire à Paris, « moiennant deux mil florins ».
Deux informations sont primordiales pour notre essai :
Le vendeur est Amaury du Meulan, sire de Neufbourg .
Les acquéreurs sont les administrateurs du Collège de Saint-Nicolas du Louvre et des Bons-Enfants de Paris .
La vente de 1357
Divers éléments permettent d'émettre une thèse valide quant à l'attribution du domaine de Villebouzin depuis le XIIe jusqu'au XIVe siècle. D'abord, occupons-nous des identités du vendeur (dont le titre de sire de Neufbourg facilite l'identification) et de l'acquéreur qui est une institution, partie de l'université de Paris au Moyen âge.
Amaury de Meulan, IV du nom (selon la généalogie d'Etienne Patou, 2004) est issu d'une part des seigneurs de Beaumont-le-Roger et d'autre part des Montlhéry-Rochefort par le mariage d'Agnès de Montfort avec Galéran IV de Meulan (1). Meulan est un comte attesté par des textes de 886 sous le règne de Charles le Gros « Hunc ipsum reuperavit Mellentensis comes sub regis Francorum clientela ». À la fin du Xe siècle vivait Galeran 1er de Chartres, mort après 926, époux de Liégart (ou Ledgarde), comtesse de Meulan, héritière des anciens comtes carolingiens du Vexin.
Saint-Nicolas du Louvre était la quatrième église collégiale édifiée sur le territoire de la paroisse de Saint-Germain l'Auxerrois; ce n'était à l'origine qu'un petit collège fondé par Robert de Dreux, frère du roi Louis VII, pour les étudiants pauvres.
L'échange de 1593
La possession des fiefs mentionnés en 1357 est vérifiée par ce que nous dit l'abbé Lebeuf : « En 1593 vivoit Robert Pislon [Grisson], seigneur du Mênil et Villebouzin. Il fit échange en cette année avec le Collège des Bons Enfants, rue Saint-Victor, et celui de Saint-Nicolas du Louvre, de tout ce qu'ils possédaient au Mênil, Boulay et Fontenelles, pour d'autres héritages ».
Ce fut le commencement de l'agrandissement, par achats et échanges, de la seigneurie de Villebouzin qui allait trouver son apogée à la fin du règne de Louis XV.
Le domaine aux XIIIe-XIVe siècles
Examinons toutes les diverses informations issues de notre enquête historique. A priori, Villebouzin était un arrière-fief de la châtellenie de Montlhéry comme il est indiqué sur l'inventaire des titres. Il s'agit d'en définir les propriétaires des XIIe, XIIIe et XIVe siècles avant la vente 1357.
Nous savons que la seigneurie de Montlhéry fut confisquée par le roi Louis VI le Gros en 1118 après une suite de démêlés de ce prince avec les seigneurs turbulents de Montlhéry dont Suger a rapporté tous les détails : Guy Troussel, Milon de Bray, son frère et Hugues de Crécy leur cousin furent les derniers possesseurs de la seigneurie qui devint châtellenie sous la gestion royale. Qui était le seigneur de Villebouzin en 1118 ? Villebouzin était-il dans la directe de Montlhéry ou était-il un arrière-fief ?
Dans le cartulaire de Longpont, Villebouzin est mentionné à plusieurs reprises. Nous trouvons un certain Constantin de Villebouzin « Constancius de Villabose n » mais il ne peut être qu'un homme du peuple puisque cité comme témoin parmi les serviteurs du prieuré à côté du forgeron Josbert et d'autres (charte LXII). Par contre, Holdearde, femme de Burchard Cocherel est citée en 1136 ; elle donne un demi-muid de vin de son clos de Villebouzin au sacristain pour le service d'une messe « in clauso suo apud Vilebosein » (charte CCCXLIV). Cette dame semble être une aristocrate puisqu'elle possédait des censives et des droits de justice parce que la famille Cocherel possède de nombreuses terres, notamment à Brétigny-sur-Orge. Thibault et Bouchard Cocherel étaient les chevaliers faisant partie des milites qui devaient un service à la Tour de Montlhéry. Toutefois, il est peu probable que Villebouzin ait été dans les mains de Guy 1er le Rouge, seigneur de Rochefort et ses héritiers directs.
La mouvance de Villebouzin est donnée par trois textes. Le premier document est issu du rôle des fiefs de Montlhéry faisant mention de ce que Garin de Ver[ly] est déclaré homme-lige de Philippe Auguste « à cause de la terre de Thibaud Cocherel, appelée Ville Bousain » (2). Ce Thibaud Cocherel, propriétaire alors de "Ville Bousain", était certainement issu des "Cocherel" dont il est fait mention plus haut, au XIIe siècle. Le second texte, de la fin du XIIe siècle précise que sous le règne de Philippe-Auguste dans l'inextricable réseau des liens féodaux et vassaliques, on trouve que le principal seigneur homme-lige du Roi pour Villejust se nommait Garin du Ver qui avait donné en fief à Thibaud Cocherel, et en arrière-fief à Guillaume de Villejust ce qu'il tenait du Roi en ce lieu. Ce sont les mêmes personnages cités précédemment. Le troisième texte est un acte d'aveu et dénombrement donné le 10 janvier 1622 par Jean Grisson, sieur de Villebouzin à Florent Paquier, seigneur de Valgrand [Vert-le-Grand] et la Norville , de la terre et seigneurie de Villebouzin, consistant « en ce qui relève de Valgrand en un chasteau, bastimen, colombier et jardin, 4 arpens 50 perches de vignes, 5 arpens 50 perches d'aulnois, 13 arpens de terre, 22 sols parisis de cens, avec la moienne et basse justice ». Ce dénombrement constitue ce qu'on appelle la Motte de Villebouzin, c'est-à-dire l'environnement immédiat du château féodal. Qu'est-il advenu de Villebouzin après les Cocherel ?
À la mort de son père (1137), le roi Louis VII apanagea son jeune frère cadet Robert de France. Celui-ci reçut de nombreux biens dont les comtés de Dreux et du Perche et la seigneurie de Chilly et Longjumeau. Ces deux terres étant dans la mouvance du domaine royal, elles furent engagées par le roi qui s'arrogeait du droit de retour à la couronne par rachat ou confiscation. Robert fit bâtir un puissant château à Chilly qui fut désormais le siège de la seigneurie. Robert fonda la maison capétienne de Dreux ; en premières noces, il avait épousé Agnès de Garlande, veuve d'Amaury III seigneur de Montfort. Villebouzin était-il devenu un arrière-fief de la seigneurie Longjumeau lors de la donation (1137) du roi à son frère?
L'église Saint Thomas du Louvre avait été bâtie en 1187 à Paris par Robert de Dreux, frère du roi Louis VII, sous l'invocation de saint Thomas de Cantorbery et un hôpital lui avait été adjoint par le même personnage, en faveur d'un certain nombre de pauvres écoliers, mais ceux-ci avaient des disputes continuelles avec les chanoines de l'église, et en 1217, ils obtinrent de l'évêque de Paris la permission d'avoir une chapelle et un cimetière pour eux et leurs valets, et leur hôpital ou collège fut distinct de l'église et devint le collège hôpital des pauvres écoliers de Saint-Nicolas. Pendant le règne de Philippe-Auguste, quatre collèges furent fondés à Paris celui de Saint-Thomas du Louvre, celui de Constantinople, celui des Bons Enfants et enfin celui de Saint-Nicolas du Louvre. C'est cette institution, le collège de Saint-Nicolas du Louvre et des Bons-Enfants de Paris qui, utilisant les libéralités de ses bienfaiteurs, devint seigneur de Villebouzin en 1357 (3). Le rapprochement avec le fondateur et seigneur de Longjumeau serait-il osé ?
Nous savons que la paroisse de Longjumeau ne fut démembrée qu'en 1265 « littera de divisione parrochie de Longo Jumello » par la création de la paroisse de Ballainvilliers qui incluait une partie de Villebouzin. Robert de Dreux, seigneur éminent de Longjumeau avait-il des droits seigneuriaux à Villebouzin ?
Par quel moyen, le domaine de Villebouzin dit « fief de la Motte de Villebouzin » était-il dans les mains d'Amaury IV de Meulan, sire de Neufbourg. En examinant l'arbre généalogique de cette maison, on s'aperçoit qu'au cinquième degré Agnès de Monfort, aïeul d'Amaury, fille d'Agnès de Garlande était la belle-fille de Robert de Dreux. Villebouzin aurait-il été donné par Robert de Dreux à sa belle-fille ? Villebouzin aurait-il été acquis ultérieurement par l'un des seigneurs de Meulan ? Le phénomène de transmission des fiefs est régulièrement attesté lorsque l'alliance est contractée. Ainsi Amaury 1er de Meulan recueillit la seigneurie de Gournay-sur-Marne apportée par sa mère, Agnès de Montfort. La branche des Meulan-Gournay reprit le nom d'Amaury, en mémoire de l'aïeul maternel, Amaury III de Montfort (4).
En Île-de-France, la maison de Meulan avait reçu par dotation les seigneuries de Gournay-sur-Marne et La Queue-en -Brie qui provenaient de Béatrice de Rochefort, demi-sœur d'Hugues de Crécy, dépossédé de ses biens lors de l'assassinat de son cousin Milon de Bray (c.f. la chronique « Le prieuré N.-D. de Longpont, XXXIII »). Les deux seigneuries ont été dévolues à Amaury 1 er , second fils d'Agnès de Monfort, puis à son fils Amaury II qui convola en justes noces avec Marguerite de Beaumont dame de Neufbourg, fief normand, à cause de son père Robert seigneur de Neufbourg et sa mère Margaret de Groaster. Leur cinquième fils, Galéran réunit les trois seigneuries. Neufbourg arriva dans les mains d'Amaury IV (le vendeur de Villebouzin), mari de Jeanne d'Harcourt.
En conclusion, cette énigme historique n'est pas résolue, de nombreuses questions n'ont pas trouvé de réponses. Fallait-il rapprocher le vendeur et l'acquéreur sur le nom de Robert de Dreux ? Espérons que de nouveaux documents nous rendrons raison.
Les autres documents
L'abbé Lebeuf prétend avoir consulté un ancien registre de l'évêché de Paris [Reg. Ep. 1531, 3 Jul.] où l'on lit « que le Mênil est de la paroisse de Longjumeau. Il en est très voisin ». Mais le célèbre historien fait ensuite une erreur en écrivant : « le Mênil est aujourd'hui de la paroisse de saint-Philibert [de Brétigny] », au lieu du Mesnil de Longpont (4).
En 1314, Enguerrand de Marigny était le gardien du trésor royal, sous Philippe le Bel. Il attaqua et ruina la puissance des Templiers, véritable état dans l'Etat. Le roi, sans doute, pour le remercier de ses services lui accorda une rente à prendre sur des biens qu'Enguerrand de Marigny leur avait peut-être confisqués au profit de la couronne. Le roi lui confia toute la justice du sud parisien par un acte donné ) à Poissy en janvier 1314 déposé au trésor des chartes (vol. 1). « En déduction des 400 livres parisis de rente sur le trésor acquis par Enguerrand de Marigny, chevalier et chambellan du roi, de Béraud de Mercoeur, chevalier du roi connétable de Champagne, et en exécution des lettres royales jadis octroyée à ce dernier et prévoyant l'assiette de cette rente, assigne au dit Enguerrand un revenu de 110 livres 10 sols 2 deniers… ». Le titre mentionne: « Enguerrand, sire de Marigny acquiert de Béraud de Mercoeur... C'est à savoir la haulte, la moiene et la basse justice des lieux dessous només des villes de Locjummel, de Chaplan, de Villebon,..., de Balisy le Petit, de Balizy le Grand, de Ballainvilliers, de Villebousain , de Villiers sous Longpont, et du Pleseiz Saint-Père , desquels lieux la justice desdites est prisée 27 livres et 15 soux 6 deniers parisis de rente par an. Item les fiefs qui sensuivent : le fief de Robert de Cortaiges à Saulx ; à Jean Tartarin, chevalier de Marcoussis à Vaux ; de la Comtesse de Montfort-l'Amaury à Saulxier, du seigneur de Massy et le ressort des villages de Palaiseau, d'Athis, du Breuil et de Massay, le tout pour 31 livres 3 sols parisis de rente ... Enfin la haute, moyenne et basse justice des hameaux … dans les paroisses de Palaiseau, de Bièvre, dans celle de Montlhéry, de Villemoisson, Sainte-Geneviève-des-Bois, Viry, Grigny et du Mesnil-sur-Longpont dans la paroisse et châtellenie de Montlhéry ; le tout pour 18 livres 5 sols parisis de rente ».
Acte notarié du 11 juillet 1459.
Le 11 juillet 1459, la reconnaissance de 12 l .t. 10 sols de cens et rente foncière sur deux cent arpents de terres et un hostel à Fretay fait l'objet d'un nouvel acte notarié passé devant François Granger, notaire. C'est noble homme Jean le Boutillier, seigneur de Villebouzin, fondé de procuration de Marguerite de Brétigny, veuve Rigault, qui s'adresse à Barthélemy de Forges et Jean son fils. Ainsi, nous revenons aux seigneurs de Brétigny et Vert-le-Grand.
Notes
(1) Amaury est un prénom commun des Meulan issu de la maison de Montfort.
(2) Verly est une altération d'écriture qui se traduit par, Ver, Val, puis Valgrand (de nos jours vert-le-Grand) pour différentier de Valpetit.
(3) Avant 1348, les quelques dizaines de collèges parisiens ont tous été fondés par des membres de la famille royale ou du haut clergé à l'exception de trois.
(4) Nicolas Civel, La fleur de France. Les seigneurs d'Île-de-France au XII e siècle (Turnhout, 2006).