Une excursion archéologique à Montlhéry (1)

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _--------____----------------------- mai 2012

Ancien château de Montlhéry: reconstitution, vue, plan, ruines et notice historique. Gravure dédiée à la ville de Montlhéry par Gustave Sauler (XIXe s.).

C. Julien

 

Nous présentons dans cette chronique le compte-rendu de l'excursion à Montlhéry des membres d'une société savante beauceronne, la Société Dunoise d'Archéologie, Histoire, Sciences et Arts (1). Sous la présidence de M. Lecesne, lors de la séance du bureau de la Société Dunoise du mardi 5 octobre 1909, M . l'abbé Juteau, secrétaire, fit lecture du compte rendu de l'excursion des sociétaires à Montlhéry et dans les environs. Ce voyage eut lieu le 22 juin 1909 (2).

L'abbé Juteau commence son exposé par : «  Messieurs et chers Collègues, il est loisible à tout membre de notre Société Dunoise d'indiquer, généralement à la réunion d'avril, un but d'excursion archéologique au Bureau qui l'étudie, le discute, l'approuve ou le rejette. Cette année-ci, notre digne et savant conservateur du Musée, M. Vallée, a proposé (il avait des intelligences dans la place) l'excursion à Montlhéry, son pays d'origine, Montlhéry à l'air vivifiant et pur où il conserve, avec quelle piété filiale ! Les quatre-vingt-treize printemps superposés de son vénéré père  » (3).

Bien que Montlhéry soit en dehors de la zone habituelle d'excursion de la société savante, la proposition fut accueillie avec faveur. Nous allons voir, d'ailleurs, comment elle se justifia, car il fallait bien un prétexte.

 

 

Le souvenir du comte de Dunois

Dans une première déclaration, le secrétaire dit : «  Au point de vue archéologique, Montlhéry et ses environs : Saint-Michel, Longpont et Linas, sont dignes du plus haut intérêt  ». Mais, pour la Société Dunoise , Montlhéry a de plus un attrait historique particulier : en l'année des fêtes de la béatification de Jeanne d'Arc, le nom de son noble et fidèle compagnon d'armes, Dunois, a retenti partout dans les panégyriques de l'héroïne. Or, les chroniques de l'époque nous remettent en mémoire que Jean bâtard d'Orléans, comte de Dunois, mourut à l'Hay, près de Bourg-la-Reine, le 24 novembre 1468.

Rappelons que Jean, bâtard d'Orléans, comte de Dunois et Mortain, dit Dunois, était le fils du duc Louis d'Orléans, frère de Charles VI et de Mariette d'Enghien, épouse d'Aubert le Flamenc. Élevé à la cour ducale, Dunois fut un des glorieux capitaines de la guerre de Cent ans. À l'âge de 25 ans (1427) il remporta le siège de Montargis sur les Anglais, puis participa à la campagne militaire de Jeanne d'Arc en s'illustrant au siège d'Orléans. Il fut récompensé en recevant la charge de grand chambellan de France avec les honneurs de prince du sang. Il reçut le comté de Dunois et celui de Longueville.

« Après le décès, le corps fut lavé, embaumé, enseveli dans une toile et posé dans un cercueil de plomb. Les entrailles, « enfoncées » par un tonnelier dans une caisse de bois, devaient être laissées à Beaugency, tandis que le coeur, renfermé dans un coffret de plomb, recouvert de toile noire, suivait le corps à Cléry pour être transporté ensuite à la Sainte Chapelle de Châteaudun. À la suite du service solennel à l'Hay, la dépouille, recouverte d'un poële en drap et velours noir, fut déposée sur un chariot peint aux mêmes couleurs, conduit par deux pages montés sur des chevaux harnachés de noir, ainsi que les chevaux d'honneur. Suivait un cortège réglé par le défunt et composé de gentilshommes et d'officiers portant bannière, guidon, étendard et pennon aux armes de Dunois ; serviteurs vêtus de deuil, dix chapelains à cheval, clercs, clercs de la chambre, archers, cinquante pauvres en robe et chaperon de drap noir, munis de torches aux mêmes armes, que l'on devait allumer à l'entrée des lieux où le corps s'arrêterait. On descendit de l'Hay à Bourg-la-Reine, pour prendre la route d'Orléans, et le voyage funèbre commença. Il dura seize jours, avec stations à : Montlhéry, Étampes, Le Puiset, Saint-Péravy-la-Colombe, Beaugency et Cléry. À chacun de ces endroits, le clergé avec la croix venait au devant du cortège, et le chariot entrait dans les églises, où il passait la nuit après le service» (4).

 

 

Le service funèbre à Montlhéry

Le tome XXIII, page 156, des Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, a publié le compte des obsèques du Bâtard. En voici l'extrait qui concerne l'étape de Montlhéry :
 À un compaignon qui sur son cheval apporta dudit Lay à Montlehéri cinq cents francs en monnoie, pour emploier en l'obsèque de feu mondit seigneur, cinq sols,
• À Monsieur de Courtalain, qu'il bailla à VI chapelains de Montlehéry, qui estoient venus au devant dudit corps jusques au bout de la ville, et le conduisirent jusques à leur église chantant, cy 20 sols,
• À luy pour bailler aux vicaires de ladite église pour l'entrée du dit corps en icelle église, cy 27 sols 6 deniers,
• À luy pour bailler à la fabrique de ladite église pour les sonneurs, cy 27 sols 6 deniers,
• Pour chandelles des bougies pour dire les messes de requiem audit Montlehéry, cy 20 deniers,
• Pour espingles et eguillectes pour tenir la couverte sur le chariot où était porté ledit Corps, cy 10 sols.
Il est apparu desdites parties par ung rooll de certiffication signé de la main de G. d'Avaujour rendu ci-devant.
• À quatre compaignons cousturiers demourans audit Montlehéri qui toute la nuigt veillèrent à faire les couvertes et harnois de drap noir pour les chevaulx qui menoient led. Corps, cy 30 sols.
• À un sellier de Paris, qui estoit venu audit Montlehéri, pour tailler les couvertes et harnois, tant pour lesdits chevaulx du chariot que pour les chevaulx d'onneur, et pour le cuir, et pour deux selles neuves aux deux chevaulx de lalectière sur lesquels estoient montés lesdits pages, cy 7 livres 9 sols 4 deniers
Il appert de ces deux parti
es de certiffication de G. Marvillier cy rendues services cy après pour d'autres parties.

 

 

Le but de la visite

Notre abbé continue son discours en donnant d'autres objets de la visite : «  Ne dites-vous pas avec moi, qu'à ce titre historique particulier, Montlhéry méritait la venue de la Société historique et archéologique Dunoise ? Montlhéry la méritait encore pour les manifestations patriotiques qu'elle fit éclater en 1871 en faveur de la ville de Châteaudun  ».

Voici ce qu'on lit au Journal historique de M. Géray, capitaine de la Garde nationale et des Pompiers de Châteaudun : « Le 24 mai 1871, le Gouvernement de M. Thiers fait appel urgent aux pompiers de Chartres, Dreux, Châteaudun et Nogent-le-Rotrou pour venir combattre l'incendie effrayant allumé par l'insurrection vaincue Parmi les vaillants volontaires, M. Lumière fils de M. le maire de Châteaudun, sergent-fourrier de la Mobile , récemment médaillé pour sa belle conduite et une blessure grave reçue sur le champ de bataille. Le sergent Riet, continue M. Géray dans son journal, fut envoyé à Montlhéry pour traiter avec un entrepreneur de voitures, à l'effet de venir chercher la pompe à Saint-Michel et la conduire à Versailles, les trains n'ayant plus d'issue sur Paris à partir de Brétigny. Ce fut l'état-major de Versailles qui fit parvenir avec un laissez-passer, une prolonge pour conduire les hommes et la pompe à Paris. La pompe était attachée derrière la prolonge, ce qui permettait de voir le nom de Châteaudun et la trace des balles ennemies reçues pendant que les pompiers combattaient l'incendie de la ville. Ce nom, connu maintenant de l'Europe entière, fit de notre voyage de Montlhéry à Versailles et de Versailles à Paris un véritable triomphe ; les populations se découvraient sur notre passage et criaient : Vive Châteaudun !»

Il est vrai que M. Maurice Lumière, capitaine retraité, chevalier de la Légion d'honneur était encore vivant en 1909 puisque l'abbé Juteau précise «  Je prie M. Maurice Lumière notre aimable collègue ici présent et excursionniste du 22 juin, de recevoir bravement ce coup droit porté à sa modestie  ».

 

 

Les distingués excursionnistes

Puis, de poursuivre avec comme il se doit une touche de latin, l'abbé cite avec toutes leurs distinctions les excursionnistes : «  Il est superflu de redire si M. Vallée a été bien inspiré en nous attirant à Montlhéry, le 22 juin dernier . Grâce aux démarches multipliées de M. Lecomte, notre trésorier et l'infatigable organisateur de nos promenades scientifiques, une réduction de 50 %, obtenue de la Compagnie d'Orléans, nous permet de nous faire rouler dans les prix doux. Le temps est gris, le mardi 22 juin, à 5 heures 50 du matin, l'air est froid, chacun de nous enfle le dos, comme si nous avions un peu honte de nous voir en aussi petit nombre à la gare. Quatorze excursionnistes seulement! Lorsque dans certaines autres sorties nous atteignions le chiffre de quarante ! Allons donc ! « Non numerantur, sed ponderantur ». Ce n'est pas la quantité qu'il faut priser, c'est la qualité.

Ainsi, nos excursionnistes arrivèrent par le train, le PO comme on disait (Paris-Orléans) avec changement à Brétigny pour descendre à Saint-Michel-sur-Orge.

Or, notre vénéré président, M. Lecesne, pèse-t-il quelque chose dans la balance de la Société Dunoise ? Et M. Richer, avoué, et M. Vallée, officier de l'Instruction publique, professeur au Collège, tous deux conservateurs du Musée, peuvent-ils compter avec le poids de leurs sciences botanique, entomologique et toutes les autres en ique ? Et M. Lecomte, notre trésorier organisateur, est il une charge dans le plateau ? Et M. Lumiere, chevalier de la Légion d'honneur ? Et M. Fouquet, chevalier du Mérite agricole? Et les MM. Trubert, notaires ? Et M. l'abbé Cuissard, curé de Saint-Denis, avec son huit-reflets de circonstance ? Et les aimables dames venues se joindre à nous, Mmes Fouquet, Lumière, Vallée, et Mlle Juteau, n'apportent-elles pas également tout le volume de leurs qualités physiques et morales? Et le secrétaire lui-même?... Mais, n'appuyons pas ! Lorsque j'aurai dit qu'à Voves notre importance se grossit de l'adjonction du savant abbé Sainsot, chanoine titulaire de Notre-Dame de Chartres et vice-président de la Société archéologique d'Eure-et-Loir; lorsque j'aurai ajouté qu'à notre arrêt de quelques minutes à Dourdan, le sympathique M. Dujoncquoy, membre de notre Société, nous fait la surprise de se mêler à nous ; lorsqu'enfin j'aurai proclamé que de Paris, oui, de la capitale même de la France et d'au-delà, arrive quelques minutes après nous, à la gare de Saint-Michel, où nous descendons, un appoint attendu et extrêmement apprécié : M. Renault, officier d'académie, notaire honoraire, ancien maire de Châteaudun, et Mme Renault ; M. Melin, officier de l'Instruction publique, ancien principal du Collège de notre ville ; M. Faustin Foiret, de Cloyes, notre collègue de dernière heure, mais chercheur très goûté déjà ; M. le docteur Dufournier, notre cher compatriote, et, pour clore la glorieuse série, M. Edmond Gasnier, inspecteur honoraire des Chemins de fer du Nord, membre du Bureau de la Société Dunoise (mon excellent propriétaire !) en excursion de famille chez ses enfants de la capitale.

C'est donc bien la tête haute que nous pouvons aborder les 93 ans de M. Vallée père, secrétaire de mairie à Montlhéry pendant 73 ans , venu gaillardement à notre rencontre avec l'aimable et érudit M. Paul Allorge, de Montlhéry, architecte diplômé par le gouvernement, expert près le Tribunal de Corbeil. Ces chers messieurs ne nous quitteront pas d'une semelle pendant toute notre course à travers les beautés de leur pays ; aussi aimerons-nous, en les quittant, leur dire à tous deux notre vive gratitude pour les renseignements précis et pleins d'intérêt reçus de leurs lèvres autorisées.

Paul-Émile Allorge était architecte, mais ce fut aussi un animateur de sociétés savantes et l'auteur de nombreux travaux d'érudition sur Montlhéry et sa région. Il reste connu comme photographe et comme éditeur de cartes postales. Sa biographie publiée vers 1905, dans le Dictionnaire biographique de Seine-et-Oise mentionne : naît à Montlhéry, le 22 novembre 1858 dans une famille de marchands de grains Après avoir été pensionnaire jusqu'en 1872 à l'institution Prou de Montlhéry, il suit ses études secondaires à Versailles, avant d'intégrer l'école des Beaux Arts à Paris. Il se marie en 1886 avec Jeanne Méritet après avoir été reçu architecte diplômé du Gouvernement. Il fut expert près la justice de paix du 1er arrondissement et professeur de dessin industriel aux écoles supérieures de la ville de Paris.

Paul Allorge meurt en 1919, dans sa soixantième année

 

M. Vallée sur un chemin au pied de la Tour de Montlhéry et portrait de M. Allorge.

 

 

La visite de l'église de Saint-Michel-sur-Orge

Après échange de compliments et présentations mutuelles, chassés par la froidure, nous envahissons deux immenses et confortables omnibus qui nous conduisent en quelques minutes à la porte de l'église de Saint-Michel. Nouvellement reconstruite, cette église, solidement bâtie en pierre meulière, présente au dehors comme à l'intérieur un coup d'oeil de fort agréable disposition avec sa forme romane et son élégant clocher, sous lequel nous pénétrons dans l'édifice.

Mais cet ensemble ne nous toucherait pas autrement si nous n'apprenions de M. Paul Allorge et de M. Vallée que les quatre belles verrières qu'ils nous font remarquer dans la nef ont motivé cette reconstruction. Elles sont de la plus belle époque de la Renaissance. D'où provenaient-elles ? Car l'ancienne église, dit-on, n'avait aucun cachet comme style. Ne sont-elles point une partie seulement d'un tout plus complet et probablement disparu ? Elles méritent, en tout cas, une étude attentive. Pour mon compte personnel, ces verrières m'ont à tel point captivé que j'ai cru devoir faire un second voyage à Saint-Michel pour les examiner plus à loisir, et je suis loin de regretter ce nouveau déplacement.

La description que je me permets d'en faire ici paraîtra forcément très incomplète ; il faudrait être du métier et vrai artiste pour en dire toute la riche beauté. Chaque vitrail, de forme gothique, est serti dans tout son pourtour, et coupé au milieu dans le sens de la largeur, par un galon d'or enguirlandé de feuilles de vigne et de raisins noirs, de sorte qu'il comporte deux scènes. En hauteur, la fenêtre mesure environ trois mètres, et un mètre en largeur.

Première verrière : La scène du bas représente Jéhovah avec une figure de beau et magnifique vieillard ; il appelle du milieu d'un buisson ardent, sur le mont Horeb, Moïse assis non loin, qui, sa houlette à côté de lui, garde les troupeaux de Jethro, son beau-père. Le mouvement très naturel que fait Moïse, ramenant sa jambe droite sur sa cuisse gauche pour enlever sa sandale, montre qu'il a entendu la voix de Jéhovah et qu'il obéit à ses paroles : « Quitte ta chaussure, la terre que tu foules est sainte». Tout en opérant celte action commune, Moïse garde la tête levée vers Dieu ; elle est singulièrement expressive cette tête avec ses cheveux courts, la barbe taillée en pointe, et les yeux mi-fermés éblouis par la gloire divine. C'est merveilleux de vie et de relief. La partie supérieure offre la scène de la promulgation de la Loi sur le Sinaï. Moïse est à genoux, presque prosterné, on le voit de dos, ses pieds sont nus et d'une admirable facture ; ses mains fuselées s'allongent sur la tranche du livre de la Loi , qu'une main puissante sortant d'un nuage lui remet. Une autre forte main, qui ne semble point la correspondante de la première, est levée émergeant d'autres nuages. Au centre, en face de Moïse, dans une gloire rayonnante, paraît la figure d'un enfant; puis, plus bas, deux pieds qui sortent de dessous deux colonnes de porphyre et qu'on dirait en marche. Quelle peut être la signification de pareils symboles : tête d'enfant, mains d'homme et pieds de géant ? M. Vallée me dit avoir rencontré au Musée de Cluny semblable sujet sur émail de Limoges. L'artiste, doublé d'un exégète, n'a-t-il point voulu, en produisant ce que je nommerais une monstruosité, rappeler que Jéhovah ne cessait de défendre par la bouche de Moïse au peuple hébreu, si enclin à l'idolâtrie, de se tailler des images d'homme ou d'animal, en tant que représentation figurée de sa personne comme objet d'adoration ?

 

 

Deuxième verrière : Le sujet de la partie inférieure de ce second vitrail est la Pâque juive; Notre-Seigneur et les Apôtres en sont les acteurs. Les personnages, debout autour d'une table, ont, d'après les ordonnances de l'ancienne Loi, les reins ceints, un bâton de voyage à la main, des sandales aux pieds ; ils mangent des herbes amères. Ce tableau respire la foi la plus vive, la piété la plus grande. A étudier chaque physionomie l'une après l'autre, on reste confondu de la souplesse de l'artiste et de la perfection de son pinceau. Comment unir tant de gravité, de recueillement profond, de pensée austère, à une si grande beauté de forme ! Le haut du vitrail représente le serpent d'airain élevé en croix. Moïse debout, la main gauche appuyée sur son bâton, explique de la droite au peuple agenouillé autour et suppliant, la vertu de ce serpent qui guérit les morsures de ceux qui le regardent. L'attitude de la prière est admirablement rendue.

Troisième verrière : C'est la scène de la Pâque chrétienne qui se développe ici ; les Apôtres sont assis autour d'une table ronde ; Notre-Seigneur seul est debout, la main droite levée à hauteur des lèvres ; il montre de l'index de la gauche le grand plat qui occupe le centre de la table. Vraisemblablement c'est le moment où Jésus dit ces paroles : « Celui qui met la main au plat avec moi doit me trahir ». Une main, en effet, est près de toucher le plat, et elle appartient à un personnage dont les traits durs désignent suffisamment Judas. Là encore, que de relief, que de vérité dans le tableau ! La tristesse est empreinte sur toutes les figures, et l'interrogation anxieuse : « Est-ce moi, Maître ? » se lit dans tous les yeux. Le sommet du vitrail offre la scène du Calvaire. Quel réalisme effrayant dans le Christ ! Le Crucifié paraît au-dessous d'une loque humaine, il semble qu'il va de son propre poids se détacher du gibet. Au bas de la croix, la Vierge est tombée en pamoison; saint Jean se penche au-dessus d'elle avec compassion ; les saintes femmes entourent la Mère de douleurs; Madeleine est à ses pieds, elle porte une couronne ; est-ce pour désigner l'ancienne pécheresse publique revêtue de ses atours ? est-ce un portrait de bienfaitrice se donnant, aux pieds de la croix du Sauveur, le rôle humilié d'une Madeleine repentie ? Cette scène, si expressivement douloureuse, va faire contraste éclatant avec le sujet de la Résurrection que nous allons voir dans le dernier vitrail.

Quatrième verrière : Cette quatrième verrière me paraît de toutes la plus vivante et la plus remarquable. Le tableau du bas représente Jésus-Christ accompagné d'un seul Apôtre ; on reconnaît saint Pierre d'après le type qui lui est habituellement consacré. En face, quatre personnages à l'air mauvais et menaçant ; l'un d'eux, plus rapproché du Sauveur, le provoque directement avec une figure pleine de colère ; ce sont évidemment des Pharisiens qui sont venus là pour surprendre le Christ en ses paroles. Il y a dans ce tableau une mise en scène de toute beauté. Le Maître et ses ennemis sont à l'entrée d'une porte de la ville qui encadre dans le lointain le magnifique temple de Jérusalem. Ainsi s'explique l'attitude des Pharisiens. Jésus vient de dire, parlant de son corps et non du temple de Jérusalem : « Ce temple détruit, je puis le rebâtir en trois jours », ce qui provoque de leur part cette exclamation : « Il a blasphémé, qu'avons-nous besoin d'autres témoins ? » Impossible de détacher les yeux d'une scène aussi vivante, aussi vraie ! La Résurrection occupe la partie supérieure du vitrail. Quatre personnages seulement composent le sujet : le Christ debout sur la. Pierre renversée du tombeau, et trois soldats couchés qui se réveillent ahuris et pleins d'épouvante. Remarquez, il y a de quoi ; car, pour un Christ vainqueur, c'est un Christ vainqueur. Vous avez, en effet, sous les yeux, un athlète de noble et merveilleuse stature ; quel beau modelé ! Voyez comme il se cambre fièrement en arrière ! Quelle énergie dans la main qui tient le labarum ! Admirez sa tête altière nimbée d'or, à demi détournée vers l'ennemi qu'il terrasse encore. Sa pose tout entière traduit, on ne peut mieux, ce défi qu'il jette à la mort : «Ubi est, mors, Victoria tua ! »

L'impression qui reste de l'examen de ces verrières, c'est que l'artiste a été lui-même ; ce n'est point du déjà vu. On dit communément qu'en peinture comme en sculpture, rien n'est difficile à faire comme une main ; voyez les mains dans un tableau, vous jugerez du talent de l'auteur.

Or, dans les différentes scènes des verrières de Saint-Michel, l'artiste s'est plu, ce semble, à prodiguer les mains. Aussi, comme elles s'adaptent bien dans leurs proportions, dans leurs poses diverses, avec leurs sujets ! Qu'elles sont vraies, nerveuses, délicates et finement ciselées ! Elles doivent être, pour les connaisseurs, un des grands attraits de ces verrières. On l'a proclamé bien des fois, rien n'est comparable à nos magnifiques vitraux du XIIIe siècle, comme nous les montre avec un légitime orgueil notre superbe cathédrale de Chartres ; le coloris en est si doux à l'oeil, si riche et si parfait ; l'expression de l'idée religieuse, de l'âme, s'y traduit avec tant de vérité, même sous l'imperfection des traits ou des poses ! Eh bien ! dussé-je passer pour ignorant et sacrilège, j'adore les verrières de Saint-Michel, et je redis avec complaisance : A l'âme vivante de ses personnages, l'artiste, ici, a su joindre un corps réel, c'est-à-dire avec toute sa beauté plastique; il a su fondre le tout dans une harmonie parfaite et une tonalité qui ne peut fatiguer l'oeil le plus délicat. Je fais le voeu que les vitraux de Saint-Michel soient mieux connus, car ils seront plus appréciés, et peut-être en découvrira-t-on l'origine.

 

 

La visite de Longpont

Il est temps, n'est-ce pas, de quitter l'église de Saint-Michel, j'entends nos chevaux piaffer d'impatience. En route pour Longpont! Après avoir franchi la rivière d'Orge, au moulin de Groteau, nos voitures prennent, à 300 mètres de là, un chemin qui longe le parc et le château de Lormoy ; en dix minutes nous sommes devant l'antique et belle église du Prieuré de Longpont. Grâce à M. l'abbé Javary, vicaire perpétuel de Longpont , qui connaît toutes les pierres de sa basilique, (c'est un chercheur émérite et fort aimable et un dévoué cicerone), grâce à M. l'abbé Bertin, curé de la paroisse depuis un an, et déjà très féru de sa merveilleuse église, nous sommes renseignés vite, et sur l'origine et sur la reconstitution du monument, sur sa belle et sévère architecture, sur ses précieuses et insignes reliques, ses reliquaires renfermés à l'abri des regards dans d'immenses et riches armoires.

Nous, Chartrains, nous entendons, sans sourciller et sans protestation, M. le curé nous dire que le culte de notre Vierge druidique a pris naissance à Longpont, et qu'il fut implanté à Chartres par Priscus, un de ses préfets, qui avait visité Longpont ; .... que la charpente ancienne de notre cathédrale provenait des bois de Longpont, etc., etc. Je ne suis pas en mesure, et, le serais-je, il ne m'appartiendrait pas de contredire séance tenante ces pieuses traditions de M. le Curé. Mais ce que je ne puis taire et que je dois noter, c'est que cette église de Longpont fut en l'an mil fondée par Robert le Pieux; que des Bénédictins de Cluny s'y installèrent bientôt; que bon nombre de rois de France et d'illustres personnages, dans la suite des siècles, y vinrent honorer la Vierge sous le vocable de Notre-Dame-de-Bonne-Garde ; et que ce pèlerinage continue à attirer les foules à ce vénérable sanctuaire.

Il ne reste de l'antique église du XIe siècle que la nef actuelle ; le portail et la tour sont du commencement du XIIIe siècle et ont été achevés sous Charles VIII et Anne de Bretagne. Les collatéraux, le transept, le chœur avec déambulatoire ont été stupidement rasés, ainsi que la flèche de la tour, en 1822. On a gaspillé 60.000 francs pour faire cet odieux travail, sous le prétexte qu'il fallait trop dépenser pour remettre en état. Dieu merci, un intelligent et zélé curé de Longpont, l'abbé Arthaud, s'employa pendant quarante ans à réédifier sur l'ancien plan l'édifice heureusement terminé, et qui fait maintenant de cette vaste église un monument remarquable par la sévère beauté de son architecture ; le pieux pèlerin et l'archéologue y rencontrent le plaisir du coeur et des yeux.

 

 

Ce qui sollicite peut-être davantage l'attention dans ce monument, c'est la façade accolée à la tour et le superbe portail. Par suite de la déclivité du sol de la place vers l'église, la façade s'enterrait progressivement. Était-il impossible de faire des travaux de voirie qui eussent écarté cet inconvénient? Je l'ignore ; mais ce qui paraît bien établi, — les traces en sont restées visibles à l'intérieur de l'église par la différence de niveau de chapiteaux autrefois juxtaposés,— c'est qu'à une certaine époque il y eut dépose et repose complète de toute cette façade pour la surélever d'environ deux mètres. Fut-ce une heureuse idée? Je ne le pense pas ; car, par suite de ce travail, la tour perdit liaison avec la façade, et, malgré le puissant contrefort qui l'appuie dans toute sa base, elle s'incline très fortement. On sent, en outre, comme un manque de proportion dans le pignon diminué.

Quoi qu'il en soit, l'oeuvre du portail est magnifique; l'ogive qui le décore a pour bordure un cordon sculpté, figurant des ceps de vigne chargés de raisins ; une double voussure abrite de jolies statuettes qui représentent les vierges sages et les vierges folles. Au bas de la première voussure, à gauche, se voit l'arbre fertile, à droite l'arbre stérile, au tronc duquel est enfoncée une hache. Ces voussures reposent sur les colonnes qui encadrent en ébrasement les portes d'entrée, et dont les gracieux chapiteaux sont recouverts par de larges dais finement ouvragés. Quatre statues monumentales, deux de chaque côté, malheureusement décapitées, trônent sous le ciel de ces riches baldaquins. L'une est la statue de saint Marcel, évêque de Paris, elle est reconnaissable à la disposition de son étole et aux riches broderies qui décorent le bas de son aube parée ; les trois autres représentent des apôtres. Le trumeau du portail supporte une très forte et belle statue de la Vierge qui, elle aussi, fut mutilée en 1562 pendant les guerres de religion, mais dont la tête et celle de l'Enfant Jésus furent restaurées en 1850 par Bonnardel, prix de Rome.

Le tympan du portail reproduit trois scènes : l'ensevelissement de la Vierge , et, si l'on pouvait s'exprimer ainsi : «  son désensevelissement », puis, au sommet, le couronnement dans le ciel. Malgré la mutilation des têtes des personnages dans les deux scènes du bas, on éprouve un extrême plaisir à contempler le mouvement, la vie de ces hauts reliefs. Pour l'ensevelissement, quatre mains sur le devant du tombeau supportent avec un certain effort le linceul sur lequel est étendue la Vierge ; les Apôtres se tiennent penchés au-dessus, on lit le respect qu'ils apportent à descendre le précieux fardeau. La scène d'à côté est toute différente : deux anges seulement soulèvent sans difficulté le linceul à la tête et aux pieds de la Vierge ; ce n'est plus un corps dans la roideur de la mort, c'est le réveil, c'est la vie ; près du tombeau de sa mère, le Christ est là présent ; quoiqu'il soit décapité, le nimbe crucifère le fait aisément affirmer ; il vient dire à la Vierge le : Veni, coronaberis .

Ces messieurs de Longpont sont intarissables ; le sujet est si magnifique !

À suivre…

 

 

Notes

(1) Ch. Juteau, curé de Saint-Jean, in Bulletin de la Société Dunoise d'Archéologie, Histoire, Sciences et Arts , tome XII (Libr. Guillaumin, Châteaudun, 1913) pp. 53-68.

(2) L'excursion à Montlhéry, Linas et Longpont avait été envisagée par l'Assemblée générale de la Société Dunoise , dont le procès-verbal mentionne «  projetée pour l'été de cette année [1909], en fixe en principe la date au mardi 22 juin et adopte les grandes lignes du projet qui lui est soumis par le Bureau  ».

(3) La famille Vallée était très célèbre à Montlhéry en 1909 : le père soutenant avec vaillance sa 94ème année, le fils M. Marcel Vallée, conservateur du musée de Châteaudun, et le petit-fils M. André Vallée, étudiant en médecine à la Faculté de Paris.

(4) L. Jarry, Histoire de Cléry .

(5) Malte-Brun, Montlhéry, son château et ses seigneurs (1870).

(6) Cette phrase et les renseignements qui suivent sont tirés de l'ouvrage de André Hallays: Le Pèlerinage de Port-Royal , 1909.

 

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