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Une excursion archéologique à Montlhéry (3)

Dans une chronique précédente, nous avions rapporté une excursion à Montlhéry des membres d'une société savante beauceronne, la Société Dunoise d'Archéologie, Histoire, Sciences et Arts . Ceci se passait le 22 Juin 1909. Une autre excursion fut organisée à Montlhéry par un maussade dimanche d'automne, le 29 septembre 1901, par les membres de la Société Archéologique de Rambouillet . Ils arrivèrent par le chemin de fer de la Ceinture, et firent étape à Chilly-Mazarin pour reprendre le tramway Paris-Arpajon et visiter, le même jour Montlhéry et Marcoussis.

 

C.Julien . Mars 2014

 

Ancien château de Montlhéry: reconstitution, vue, plan, ruines et notice historique. Gravure dédiée à la ville de Montlhéry par Gustave Sauler (XIXe s.).

 

Sous la plume du secrétaire général de la société savante de Rambouillet, Monsieur Lorin, nous trouvons le compte-rendu de la visite au cours d'une journée bien remplie avec des détails historiques qui sont dignes d'être «  mis en ligne  ». En voici l'introduction de M. Lorin qui, au début de ce XXe siècle, ose encore espérer la protection des sites historiques. Qu'en est-il de nos jours à Montlhéry ? Il semble que la plupart des espérances aient été rattrapées par l'urbanisation galopante, la plus terrible extension de cette banlieue sans aucun plan raisonné d'ensemble. Nous reviendrons plusieurs fois sur cette constatation quand il s'agira d'évoquer certains lieux historiques. «  Malgré l'heure matinale du départ, les complications du voyage, les menaces de pluie, l'inauguration des orgues de Montfort surtout, qui privait la Société de ses membres les plus fidèles, l'excursion du dimanche 29 septembre 1901 à Montlhéry et Marcoussis a réuni des adhérents en nombre suffisant pour assurer sa réussite ; des idées intéressantes ont été échangées sur le château de Montlhéry, le monticule qu'on appelle la Motte, les ancêtres de Jean-Jacques Rousseau qui, avant 1549, habitaient Montlhéry et sur Malte-Brun, l'historien de Marcoussis, à qui on a décidé d'élever un buste. Le château de Marcoussis et particulièrement les belles collections que possède Melle la marquise de la Baume-Pluvinel ont été les sujets très animés des conversations de la journée ; cette réunion de la Société Archéologique aura cet excellent résultat, que le passé de Montlhéry et Marcoussis va être l'objet d'études nouvelles, et que cette contrée, si riche en souvenirs, si pittoresque, sera mieux mise en lumière  ».

« Sur le chemin de fer de Ceinture se trouve une jolie localité, à laquelle il faut nécessairement s'arrêter une heure avant de prendre le tramway qui va de Paris à Montlhéry [l'Arpajonais] ; cette jolie localité, c'est Chilly-Mazarin. Chilly-Mazarin possède un curé fort distingué, l'abbé Gehin, passionné pour l'histoire de sa paroisse, qu'il a étudiée et écrite … ». Laissons là cette narration pour continuer l'excursion dominicale (2).

« La visite de l'église de Chilly terminée, nous nous dirigeons vers la station du tramway. Du tramway, nous apercevons la vieille église de Saulx-les-Chartreux, qui referme des tableaux de maîtres et de remarquables vitraux ; nous traversons une région de culture maraîchère ; de vastes champs de tomates s'allongeant le long de la route ; nous ne nous arrêtons pas à Longjumeau, où nous reviendrons.

« Bientôt, au loin, apparaissent les tours (sic?) de Montlhéry qui éveillent le souvenir et les vers du poète Voiture et de Boileau. Dans une de ses chansons, écrite vers 1630, Voiture raconte sur un ton burlesque un voyage qu'il fit à Orléans ; ses vers sont adressés à la beauté qu'il laisse à Paris. Le couplet relatif à Montlhéry a sa saveur ; le poète s'écrie :

Nous vîmes dedans la nüe

La Tour de Mont-le-heris,

Qui pour regarder Paris

Allongeait son col de grüe,

Et pour y voir vos beaux yeux

S'eslevoit jusques aux cieux.

Il ajoute :

Quand nous fusmes dans Estampe,

Nous parlâmes fort de vous :

J'en soupiray quatre coups,

Et j'en eu la goutte crampe.

Estampe et crampe vrayment

Riment admirablement.

Puis le poète continue en vantant les grâces et les charmes de la marquise de Rambouillet, de sa fille et de toutes leurs amies. C'est de la tour de Montlhéry que Boileau fait sortir le hibou qui, à la faveur de la nuit, vient se placer dans le lutrin de la Sainte-Chapelle :

Mais la nuit, aussitôt, de ses ailes affreuses,

Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses

Revole vers Paris et hâtant son retour

Déjà de Montlhéry voit la fameuse tour.

Ses murs dont le sommet se dérobe à la vue,

Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue,

Et présentant de loin leur objet ennuyeux,

Du passant qui le fuit ensemble suivre les yeux.

 

Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres

De ces murs désertés habitent les ténèbres ;

Là, depuis trente hivers, un hibou retiré,

Trouvoit contre le jour un refuge assuré.

Des désastres fameux ce messager fidèle

Sait toujours des malheurs la première nouvelle,

Et tout près d'en semer le présage adieu

Il attendait la nuit dans ces sauvages lieux.

« Le bon La Fontaine, en août 1663, en se rendant dans le Limousin, a son attention attirée par la tour de Montlhéry, mais il n'en dit rien qui vaille la peine d'être retenu.

« En descendant du tramway à Montlhéry, nous sommes reçus par M. Saintain, maire de Montlhéry, M. Allorge, M. et Mme Debled, M. Delessard, M. Vallée, antiquaire de Montlhéry (sic), M. Dutar, pharmacien, M. le percepteur de Montlhéry, etc. (3). Sous la conduite de M. Allorge et de M. Saintain, la Société archéologique visite les monuments M. Vallée, antiquaire de Montlhéry, l'église de la Trinité [église en partie du XIIIe s.], la porte Baudry, la porte de l'ancien Hôtel-Dieu, fort curieuse [de la fin du XIIe s.], qui a été sauvée grâce à l'initiative de MM. Allorge et Charles Normand ; le monticule placé près du château, et enfin le vieux château.

 

 

Le secrétaire de Société archéologique résume en quelques mots l'histoire de Montlhéry, que Malte-Brun fils a racontée en détail dans un petit volume de 117 pages, paru en 1870 : « Montlhéry est célèbre par son château fort construit dans la première moitié du XIe siècle par Thibaut, surnommé File-Etoupes, second fils de Bouchard II, sire de Montmorency. Cette forteresse joua au Moyen âge un rôle important. Le roi Louis VI la fit raser et ne laissa subsister que quelques bâtiments d'habitation et la grosse tour qui existe encore actuellement (sic). Le 16 juillet 1465, Louis XI livre une bataille. La terre de Montlhéry fut érigée en comté par Louis XIII qui en fit présent à Richelieu ; elle passa ensuite au duc d'Orléans. Le maréchal de Mouchy la possédait en 1789. Pour arriver au château, il fallait traverser cinq portes et franchir trois terrasses et cinq enceintes. La dernière porte s'ouvrait sur la plate-forme ou esplanade du château ; l'esplanade contenait le gros donjon. Les ruines des quatre tours qui fortifiaient l'esplanade sont visibles encore. A droite de l'entrée de l'esplanade se trouvait un puits, et on aperçoit encore, près de la tour du donjon, l'ouverture d'un souterrain (sic). La fameuse tour a été décrite en 1547. « Dans le premier étage, il y avait un moulin à bras ; aujourd'hui, la hauteur de la grosse tour depuis le sol jusqu'à la cime est 33 mètres ; à la tour du donjon est accolée une tour plus petite ; c'est dans cette tour qu'était pratiqué un escalier tournant. Aux deux tiers de la hauteur de ce groupe de tours on aperçoit une ceinture de supports en saillie à soutenir les mâchicoulis ». Au nord, il y a aussi les restes d'une tour ; le mur d'enceinte opposé au sud offre une ouverture. Au nord-est, en dehors de la première enceinte, on voit la Motte-de-Montlhéry, fief mouvant du roi. Sous Henri IV commença la destruction du château.

 

 

Gravure du bourg et du château de Montlhéry, dessin de Claude Chastillon (éd. 1641 et 1648, folio 12).

 

Gravure du château de Montlhéry, dessin de Claude Chastillon (éd. 1641 et 1648, folio 22).

 

Le Moniteur universel du 14 messidor an II (3 juillet 1794) publie la condamnation sommaire du duc de Mouchy et de la duchesse, prononcée par le tribunal criminel révolutionnaire, le 9 messidor (27 juin) ; le premier nom de la liste, qui comprend vingt-deux victimes, est : «  P. Noailles de Mouchy, âgé de soixante-dix-neuf ans, né à Paris, ex-duc, ex-maréchal de France, ex-gouverneur de Versailles, domicilié à Mouchy…. Le quatrième nom est celui de A.-C.L. Arpajon, âgée de soixante-dix ans, née à Paris, femme Mouchy, rue de l'Université  ». Le duc de Mouchy et sa femme, compris dans la fournée du régisseur du château de Rochefort-en-Yvelines et de l'abbesse du couvent de Louye, près de Dourdan, sont convaincus de s'être rendus les ennemis du peuple, en se rendant complices de Capet, etc. Tous sont condamnés à mort.

Puis le secrétaire fait une remarque curieuse, focalisant sur la mort du duc: «  Nos collègues de Montlhéry pourraient, aux Archives nationales où il se trouve, compulser le dossier de condamnation du duc de Mouchy et de la duchesse, et en extraire des renseignements qui intéresseraient peut-être l'histoire de Montlhéry  ».

En descendant du château, les membres de la Société archéologique se rendent à l'école de dessin de la ville de Montlhéry et passent en revue tous les dessins et tous les plans que M. Allorge a recueillis. De là à l'hôtel du Chaperon-Rouge il n'y a qu'un pas : il est midi, on se met immédiatement à table ; sur le menu, dont voici le texte, est reproduite la tour de Montlhéry, d'après J.-B. Bluet, 1793.

 

 

M. Lorin préside, ayant à sa droite M. Saintain, maire de Montlhéry, à sa gauche M. Charles Normand ; prennent place autour de la table : M. Lefebvre, receveur de l'Enregistrement à Rambouillet ; M. Mousset, greffier du tribunal de Rambouillet ; M. Coüard, archiviste du département ; MM. Vallée, Delessard, Debled, M. Léon Favry, Mme Léon Favry, M. Debray, Mme debray, M. Charpentier, de Paris ; M. Thibault père, banquier à Dourdan, et son fils, etc.

Au dessert, M. Lorin se lève et prononce l'allocution suivante : «  La Société archéologique de Rambouillet , fondée en 1836, est heureuse de se rencontrer avec une Société amie, plus jeune qu'elle, la Société des Amis des Arts et du Dessin de Montlhéry; le but des deux sociétés, loin de se contrarier, converge au même point, car si l'une, la Société archéologique de Rambouillet, se propose de faire aimer l'histoire, la Société de Montlhéry a pour tâche notamment d'aider à la connaissance de l'histoire qui, sans le dessin, est aride et imparfaite ; en effet, si nous n'avions pas les vues anciennes de Montlhéry dont vous possédez une si jolie collection, combien des descriptions de votre château si renommé nous paraîtraient pâles et froides : honneur donc et merci à vous, les continuateurs des Mérian et des Chastillon ! La Société archéologique votre sœur aînée, se fait un plaisir d'applaudir à vos initiatives, à votre goût et au dévouement que vous apportez à la conservation de vos monuments. Permettez-moi surtout de féliciter chaleureusement ceux qui marchent à votre tête : M. Saintain, l'excellent maire de Montlhéry ; M/ Allorge, le directeur de votre Société. Vous avez raison, Monsieur le Maire, protégez vos chères ruines contre les ravages du temps et la dévastation des hommes . Le jour où Montlhéry n'aurait plus ses magnifiques restes du passé, votre ville perdrait une grande partie de son lustre ; nous nous réjouissons d'être parmi vous ; à défaut de nombreux collègues qui se sont excusés, j'ai la satisfaction de saluer ici M. Normand, le directeur de l'Ami des Monuments  ; M. Coüard, notre infatigable archiviste.

Hier, les deux chefs d'Etat choquaient leurs verres en l'honneur de la paix ; buvons, nous aussi, à la paix qui conserve les monuments et protège les arts, à l'union des Sociétés d'histoire et de dessin dont le but est de faire briller de tout leur éclat, dans le passé, nos petites patries ».

M. Charles Normand a répondu au toast de M. Lorin en faisant ressortir la nécessité pour une ville telle que Montlhéry, déjà privée de la plupart de ces constructions antiques, d'en garder à tout prix les derniers débris. Il y va, a-t-il ajouté, de l'intérêt historique et matériel du pays.

Que reste-t-il de cette espérance plus de cent ans plus tard ? Il suffit de parcourir la ville pour s'apercevoir du résultat du pillage de notre patrimoine.

Mais l'heure s'avance, nous montons hâtivement dans les voitures qui nous conduisent à Marcoussis, et nous arrêtent devant l'église où nous entrons….

À suivre…

 

 

Notes

(1) Mémoires de la Société Archéologique de Rambouillet , tome XV (Impr. Aubert, Versailles, 1901).

(2) «  Excursion à Chilly-Mazarin  », chronique à venir.

(3) Le rédacteur fait plusieurs erreurs. M. Vallée était le secrétaire de la mairie de Montlhéry. L'histoire du château de Montlhéry doit être également révisée, puisque le donjon actuel est l'œuvre de Philippe-Auguste (fin XIIe s.)