Le détournement des eaux de l'Yvette (1) |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------------- ------ Juin 2011 Extrait de la carte du diocèse de Paris par J.-B. Nolin (vers 1700).C. Julien
Au milieu du XVIIIe siècle, la distribution de l'eau dans les fontaines de Paris était devenue défaillante par suite de la démographie galopante de la capitale et de la multiplication des usines et manufactures réclamant de plus en plus d'eau. Devant cette pénurie, les administrateurs de la ville de Paris cherchèrent à résoudre ce problème. Bien évidemment, les ingénieurs de ponts et chaussée et les membres de l'Académie des Sciences furent consultés. Ceux-ci proposèrent le détournement des eaux de l'Yvette et de la Bièvre pour les amener au pied de l'Observatoire et, par là, alimenter la partie méridionale de la capitale (1). Rappelons que l'Yvette prend naissance à deux lieues de Chevreuse, où elle vient passer. C'est une petite rivière qui n'a que 7 à 8 lieues de cours. Ceci est l'objet de notre chronique. Avant le développement de ce projet qui, comme chacun peut s'en rendre compte, n'aboutit pas par suite de difficultés financières, donnons-en un aperçu chronologique. À partir de 1762, le savant Antoine de Parcieux, mathématicien, mécanicien et hydraulicien, fut chargé par la ville de Paris d'étudier l'amenée des eaux le la rivière d'Yvette depuis un captage en amont de Gif par un canal de 6 à 7 lieues. Il démontra la faisabilité et dressa des plans, mais mourut le 2 septembre 1768, sans avoir commencé les travaux ; l'état des finances royales et le manque de volonté de Louis XV en empêchent la réalisation. Le 31 juillet 1769, Jean-Rodolphe Perronet et l'ingénieur de Chezy sont chargés par de poursuivre ce projet « Arrest du Conseil d'État du Roi commet le sieur Perronet, premier ingénieur et le sieur Chezy, ingénieur des Pont et Chaussées, pour procéder à la visite du cours de la rivière d'Yvette, à l'effet d'en amener les eaux à Paris ». Le projet fut abandonné une seconde fois. Le 15 novembre 1775, les deux ingénieurs présentent un mémoire sur le projet de dérivation. Près de 12 ans plus tard, par arrêt du Conseil d'Etat du 21 mai 1786, le roi acceptait les propositions du sieur Nicolas Defer de La Nouerre, ancien capitaine d'artillerie. Le 3 novembre 1787, un nouvel arrêt du Conseil d'Etat autorisait Defer à commencer les travaux moyennant le dépôt d'une somme de 400.000 livres . Le 10 janvier 1789, M . Defer de la Nouerre lit un mémoire sur l'Yvette devant l'Académie royale des Sciences. En avril 1789, une opposition farouche fut exacerbée par la rédaction des cahiers présentés aux États généraux. En février 1790, dans un mémoire sur le canal de l'Yvette, adressé à la commune de Paris, le sieur Defer signale l'urgence d'exécuter le canal projeté, à un moment où la vétusté des pompes du pont Notre-Dame et de la Samaritaine va exiger leur reconstruction et nécessiter une dépense de 1.800.000 livres . Le projet fut définitivement abandonné et il fallut remblayer les tranchées creusées : ce travail dure jusqu'en 1791.
Petite histoire de l'alimentation de Paris « L 'eau est sans contredit le besoin le plus impérieux des grandes cités » nous dit Adrien-Louis Lusson, qui continue son exposé pour décrire les projets de construction de fontaines pour l'embellissement de la ville de Paris (2). Lorsque les Romains eurent fait sortir Lutèce de ses premières limites, et triplé sa superficie en y réunissant plusieurs bourgs environnants, qui portèrent à 113 arpents les 44 de sa première enceinte, il devint nécessaire d'amener l'eau des plateaux élevés qui la dominent, pour alimenter plusieurs de ses quartiers. Alors fut construit, vers 357, par l'empereur Julien, l'aqueduc d'Arcueil, qui amenait au Palais des Thermes les eaux de Rungis. De 1612 à 1624, la reine Marie de Médicis fit construire l'aqueduc d'Arcueil autant pour l'usage du palais du Luxembourg, bâti pour cette princesse, que pour les besoins de la partie de la ville située au midi, qui jusque là avait été privée de fontaines. De 1706 à 1737, les eaux de Paris éprouvèrent peu de changements. Sous Louis XIV, l'enceinte parisienne de 3.919 arpents renfermait 23.565 maisons et l'on évaluait le nombre de ses habitants à 510.000 âmes. Pour le strict besoin d'une telle ville, il aurait fallu 510 pouces d'eau et toutes les ressources en produisaient à peine 100. Cette pénurie devint plus grande encore par l'emploi qu'on dut faire, en 1737, des eaux de Belleville au lavage d'un grand égout qui traversait les marais du Temple, les faubourgs Saint-Denis, Montmartre, la Chaussée-d'Antin, la Ville-l'Évêque, les Champs-Élysées, etc., Pour assurer le service public devenu de plus en plus précaire, plusieurs projets furent étudiés, dont celui de M. de Parcieux d'amener à Paris les eaux de l'Yvette. La question des pompes à feu, agitée de nouveau par M. d'Auxiron en 1769, fut soutenue par Lavoisier en 1771, mais sans qu'il s'ensuivît aucune détermination. Enfin, arriva la compagnie Perrier, qui, en 1777, leva tous les doutes, aplanit toutes les difficultés par l'établissement, à ses frais, des pompes à feu de Chaillot et du Gros-Caillou, qui fournissent régulièrement à elles seules 320 pouces d'eau, environ le double de ce que tous les moyens employés jusqu'alors, à grands frais et d'une manière si peu assurée, avaient jamais pu donner (3). ? En 1791, l'Assemblée Constituante adopta le projet, déjà exposé à l'Académie des Sciences, en 1785, par Brullé, d'amener à Paris, par un canal navigable, les eaux de la Beuvronne, augmentées d'une partie de celles de la Marne. Suivant ce projet, présenté au Premier Consul, en 1800, par MM. Solages et Bossu, il était question de dériver de la Beuvronne, de la Thérouenne et de l'Ourcq un volume d'eau de 120.000 kilolitres ( 6.250 pouces ), dont une moitié aurait été distribuée dans Paris et l'autre moitié employée à alimenter un canal de navigation de Paris à Pontoise. Le Corps Législatif rendit en mai 1802 le décret d'exécution du canal de l'Ourcq qui prenait l'eau à Crouy pour arriver au bassin de la Villette.
Le premier projet d'amener à Paris les eaux de l'Yvette Le projet d'amener à Paris une eau saine et abondante, avoit occupé les dernières années de M. de Parcieux. Il avoit établi dans plusieurs Mémoires, la possibilité de faire venir à Paris l'eau de l'Yvette; d'habiles chimistes consultés par lui, avoient prouvé que cette eau étoit pure; une foule d'objections, enfantées par la légèreté et l'indifférence, avoient été détruites: il les avoit combattues comme si elles n'avoient pas été futiles, sachant trop bien que souvent de pareilles objections avoient fait manquer les projets les plus utiles, parce qu'au zèle actif pour le bien public est une qualité rare, et que la maxime l'on est bien comme on est, est la maxime favorite de ceux qui se trouvent bien, et qui s'embarrassent peu que les autres soient mal. M. de Parcieux espéroit que, quoique la principale utilité de son projet fût pour le peuple néanmoins comme il importe à tout le monde de boire de bonne eau, de respirer un air pur, d'habiter un pays où les épidémies sont plus rares, les gens riches s'intéresseroient à son projet; mais malheureusement la classe d'hommes à qui il s'adressoit, ne trouve mal sains que les pays où il n'y a ni fortune ni faveur à espérer. Cependant M. de Parcieux parloit si souvent de son projet, mettoit à le faire adopter tant de chaleur, d'activité et de suite, que l'importunité, qui a si souvent réussi à tant d'autres pour obtenir leur fortune, lui eût fait obtenir à la fin ce qu'il desiroit pour futilité publique; mais il mourut. M. d'Invau, alors Contrôleur général, ne voulut pas que ces vues fussent abandonnées: il chargea le corps des Ponts et Chaussées de suivre ce projet ; la direction en fut donnée à M. Perronet, qui demanda et obtint M. de Chézy pour le seconder. L'utilité du projet étoit prouvée, on n'en contestoit point la possibilité; mais il s'agissoit de se décider sur les meilleurs moyens de l'exécuter, et de s'assurer avec exactitude de ce qu'il devoit coûter. M. Perronet a proposé de joindre à l'eau de l'Yvette une partie de celle de la rivière de Bièvre, pour se procurer dans les temps de sécheresse 1.500 pouces d'eau au moins, et de former, pour, diminuer la dépense, deux distributions principales, l'une pour les quartiers de Paris les plus élevés, l'autre pour le reste de la ville. Il a nivelé avec soin tout le terrein où doivent passer ces eaux de l'Yvette et de la Bièvre, tantôt dans des aqueducs, tantôt dans un canal découvert: ces nivellemens sont constatés par des bornes numérotées et placées de distance en distance sur la ligne que l'on doit parcourir. M. Perronet a dressé des plans de tous les ouvrages, en a fait les devis les plus détaillés: tout ce travail est déposé dans la Bibliothèque de l'Académie, dans d'autres dépôts publics, de manière que si jamais les circonstances permettent de faire exécuter ce grand projet, il n'y aura plus qu'à l'ordonner, et que l'on trouvera tout ce qui dépend de l'art préparé d'avance. Le mémoire dont nous rendons compte, contient les résultats principaux de toutes ces opérations. La dépense est évaluée à un peu moins de huit millions, sans y comprendre celle de la distribution dans les différens quartiers de Paris: cette dépense a paru excessive, et l'on a proposé de substituer ou des pompes à feu, ou des machines hydrauliques au projet de M. de Parcieux. Plusieurs de ces nouveaux projets, ou plutôt de ces renouvellemens de projets plus anciens, et combattus par M. de Parcieux, ont été examinés par l'Académie: en rendant justice à leurs auteurs, elle a constamment donné la préférence au projet d'amener l'eau de l'Yvette, comme au moyen le plus sûr, le plus durable, le moins sujet à des inconvéniens, et même à la longue le moins dispendieux, de tous ceux du moins qui jusqu'ici ont été ou soumis à son jugement, ou mis sous les yeux de la Nation. Pour conclure, donnons l'avis de Max Boucard « A la moindre sécheresse toutes ces machines hydrauliques, tous ces petits aqueducs ne fournissaient plus qu'un volume d'eau insignifiant, et, au XVIIIe siècle, De Parcieux, abordant hardiment le problème, conçut le projet de dériver les eaux de l'Yvette au moyen d'un canal maçonné, et découvert pour alimenter le quartier de l'Observatoire. Ce projet fut malheureusement abandonné par suite du mauvais état des finances de la Ville, mais il fut repris plus tard et complété » (4).
Le soutien de Voltaire « Comment il serait possible de fournir d'eaux abondantes la partie méridionale de Paris (rive gauche), et d'obtenir un rabais considérable sur certains matériaux de construction et de pavage ? ». Mais l'état des finances royales et le manque de volonté de Louis XV en empêchent la réalisation. Le sieur de Parcieux avait pourtant reçu l'appui de Voltaire qui lui adressa des lettres d'encouragement et le cita longuement dans son conte " L'homme aux quarante écus ". Voltaire écrivait de Ferney, à la date du 17 juillet 1767, la lettre suivante à M. de Parcieux, sur le projet d'amener la rivière de l'Yvette à Paris. « Vous avez dû, Monsieur, recevoir des éloges et des remerciements de tous les hommes en place; vous n'en recevez aujourd'hui que d'un homme bien inutile, mais bien sensible à votre mérite et à vos grandes vues patriotiques. Si ma vieillesse et mes maladies m'ont fait renoncer à Paris, mon cœur est toujours votre citoyen. Je ne boirai plus des eaux de la Seine, ni d'Arcueil, ni de l'Yvette, ni même d'Hippocrène, mais je m'intéresserai toujours au grand monument que vous voulez élever: il est digne des anciens Romains, et malheureusement nous ne sommes pas Romains. Je ne suis pas étonné que votre projet soit encouragé par M. de Sartine : il pense comme Agrippa; mais l'Hôtel-de-Ville de Paris n'est pas le Capitole. On ne plaint point son argent pour avoir un opéra-comique, on le plaindra pour avoir des aqueducs dignes d'Auguste. Je désire passionnément de me tromper; je voudrais voir la fontaine de l'Yvette former un large bassin autour de la statue de Louis XV; je voudrais que toutes les maisons de Paris eussent de l'eau comme celles de Londres.... Nous venons les derniers en tout, j'en suis fâché ».
Mémoire sur le canal de l'Yvette par J.-R. Perronet, lu les 15 novembre 1775 et 13 janvier 1776 devant l'Académie des Sciences.
Le mémoire de Perronet Dans cette partie, nous donnons le texte (in extenso) que Jean-Rodolphe Perronet donna à l'Académie des Sciences, sous le titre « Mémoire sur les moyens de conduire à Paris l'eau des rivières de l'Yvette et de la Bièvre». Cette communication fut présentée aux académiciens les 15 novembre 1775 et 13 janvier 1776 (5). Nous devons au zèle patriotique de feu M. de Parcieux, à ses connoissances et à son goût particulier pour l'Hydraulique, le projet d'une des plus belles entreprises qui aient été conçues de notre temps, et qui lui a mérité les éloges du Public et sa reconnoissance. Cet Académicien ayant considéré que les machines établies sur l a Seine, et les sources qui donnent de l'eau aux habitans de Paris, n'en pouvoient fournir qu'une quantité très-insuffísante pour leurs besoins, crut ne pouvoir employer plus utilement ses talens et une partie de ses veilles qu'à la recherche des moyens de procurer à cette grande ville l'avantage le plus précieux qu'elle puisse devoir à l'industrie d'un citoyen. Il examina avec la plus grande attention les rivières et les sources les plus élevées qui sont aux environs de Paris, dans l'intention d'en trouver d'assez abondantes, que l'on pût faire arriver à la même hauteur à laquelle s'élève le bouillon d'eau d'Arcueil, dans le château d'eau qui est situé près de l'Observatoire. Le résultat de ses recherches fut que la rivière d'Yvette, en la prenant un peu au-dessus de Vaugien, à 14.800 toiles du carrefour de la rue neuve Notre-Dame et du marché Palu, d'où part la mesure des bornes milliaires, étoit la seule rivière qui lui eût paru être assez élevée pour cela; il a trouve qu'avec les ruisseaux et les sources que l'on pouvoit y réunir, cette rivière fourniroit au moins 1.000 pouces lors des basses eaux, et même jusqu'à 2.000 pouces dans d'autres temps de l'année, au moyen de plusieurs réservoirs et retenues d'eau, qu'il proposoit de former en différens endroits de son cours. Cette eau ayant été analysée avec le plus grand soin par feu M. Hellot et M. Macquer, tous deux de cette académie, et par cinq commissaires de la Faculté de Médecine de Paris; le résultat de leurs opérations a été qu'elle étoit aussi salubre que l'est l'eau de la Seine, prise au-dessus de Paris: la différence sur le poids et sur quelques résultats chimiques ayant paru trop peu sensible à ces Messieurs pour les empêcher d'assimiler entièrement les qualités de ces différentes eaux. Ces Messieurs ont aussi observé que la saveur d'eau de marais que quelques personnes ont reprochée à l'eau de l'Yvette, étoit accidentelle, étrangère, non inhérente, et qu'elle se dissipoit entièrement par la simple exposition à l'air. M. de Parcieux a rendu un compte très-détaillé de son projet et de ses opérations, dans deux mémoires qu'il a lûs aux Rentrées publiques de cette Académie les 13 novembre 1762 et 12 du même mois 1766, et par un troisième mémoire, lû en 1767 dans nos Assemblées particulières: ces Mémoires ont été imprimés et rendus publics, c'est pourquoi je ne crois pas devoir entrer ici dans un plus grand détail à ce sujet. Je vais présentement rendre compte de ce qui s'est passé depuis la mort de M. de Parcieux, concernant ce même projet. M. Maynon d'Invau, peu de temps après sa nomination au Contrôle général, crut aussi ne pouvoir rendre un plus grand service à la ville de Paris, que de lui procurer l'eau qui manque aux fontaines et dans les maisons pour les plus pressans besoins de ses habitans. Animé de zèle pour le bien public, ce ministre proposa au feu Roi de faire terminer le projet de M. de Parcieux, et de le faire exécuter ensuite s'il devoit en résulter tout l'avantage que cet académicien avoit eu l'intention de procurer. M. d'Invau proposa également à Sa Majesté d'employer les ingénieurs des Ponts et Chaussées, sous les ordres de M. Trudaine, pour achever ce projet; je fus nommé pour cet effet, par arrêt du Conseil d'Etat du 30 Juillet 1760, avec M. Chézy que j'avois demandé pour me seconder. Nous nous sommes occupés avec soin de ce travail; il vient d'être achevé, et nous allons expliquer sommairement en quoi il consiste. Les plans topographiques du cours de l'Yvette et d'une partie de la Bièvre, depuis Paris jusqu'à Chevreuse d'une part, et au village de Bièvre de l'autre, ont été premièrement levés. La quantité d'eau que pouvoit fournir l'Yvette, a été jaugée, en la prenant au-dessus de Saint-Remi, à huit cents dix-neuf toises du déversoir de l'ancien moulin d'Étau près Vaugien, où M. de Parcieux se proposoit de faire sa prise d'eau: nous avons compris dans cette jauge ce que pourroit fournir une retenue ou réservoir d'eau de quarante arpens, que nous croyons convenable de faire sur 6 pieds de hauteur au-dessus du niveau de la prise d'eau, ainsi que le produit des ruisseaux de Courbetin, de Port-royal, de Goutte-d'or et de Bures; nous avons reconnu que le tout donneroit au moins 1.000 pouces dans les temps de la sécheresse, et que cette quantité pourroit même monter au double dans un autre temps, ainsi que la annoncé M. de Parcieux, au moyen de la retenue d'eau dont nous venons de parler, et de celles qu'il proposoit de former en d'autres endroits. Nous avons également reconnu qu'il seroit possible de réunir à ces eaux 450 pouces de celle de la rivière de Bièvre, en y joignant les ruisseaux des Mathurins et de Vauxhalan; et cela au moyen d'une branche d'aqueduc de 2.800 toises qui partiroit de Bièvre, et arriveroit dans celui de l'Yvette un peu au-delà de Massy: le tout faisant environ 1.500 pouces en temps de sécheresse. À l'égard de l'eau de la Bièvre, elle a été analysée par Mrs. Macquer et Cadet; il résulte du rapport de ces Académiciens, en date du 22 Novembre 1769, quelle est d'aussi bonne qualité que le font les eaux de la Seine et de l'Yvette. Nous observerons aussi, que la rivière de Bièvre nous a paru assez abondante , pour, qu'indépendam-ment de cette prise d'eau , qui seroit très-utile aux habitans de Paris, il doive en rester encore assez pour l'usage de la manufacture des Gobelins : mais dans le cas où elle en manqueroit, on pourroit lui donner, par une conduite particulière, toute celle dont elle auroit besoin. On en useroit de même pour les établissemens les plus utiles du faubourg Saint-Marceau, qui se servent actuellement de l'eau de la Bièvre. À l'égard des moulins qui pourront souffrir de la diminution du volume de l'eau sur les rivières d'Yvette et de Bièvre, il sera juste que les propriétaires en soient dédommagés, et nous y avons eu égard dans le prix de notre estimation, ainsi que pour les bâtimens et terreins qui seront pris pour l'emplacement des aqueducs et canaux. Le nivellement de ces rivières a été fait et vérifié plusieurs fois avec un niveau à bulles d'air, de la bonté et de l'exactitude duquel l'un de nous a déjà rendu compte à l'Académie, ainsi qu'on peut le voir dans le cinquième volume des Mémoires des Savans étrangers. Il résulte de ces nivellemens, que la pente totale, depuis le même endroit où M. de Parcieux devoit faire sa prise d'eau, c'est-à-dire , au déversoir de l'ancien moulin d'Étau, jusqu'au bouillon du château d'eau d'Arcueil, est de 45 pieds 7 pouces 7 lignes, et de 34 pieds 2 pouces jusqu'au sol de l'Observatoire, mesuré près et au-delà du seuil de la principale entrée, située du côté du Nord : ce déversoir est de 6 pieds 4 pouces plus bas que le fond du réservoir, auquel nous nous proposons d'établir la prise d'eau, et cela, pour faciliter le moyen de porter une partie de seau à l'Estrapade, ainsi que nous le dirons ci-après. Ce bouillon d'eau d'Arcueil est de 97 pieds 8 pouces 1 ligne plus élevé que les eaux les plus basses de la Seine, prise vis-à-vis les Invalides, de 16 pieds 8 pouces 1 ligne aussi plus élevé que l'arrivée de l'eau dans sa cuvette de distribution du haut des pompes du pont Notre-Dame, ou de 51 pieds 8 pouces 1 ligne au-dessus du pavé du même pont, mesuré à l'entrée du bâtiment des pompes: enfin, de 11 pieds 5 pouces 7 lignes plus bas que le sol de l'Observatoire, mentionné ci-devant. À l'égard de la prise d'eau de la rivière de Bièvre, elle sera faite à 48 pieds o lignes au-dessus du même bouillon d'eau d'Arcueil, à mesurer du fond du canal, et à 7.900 toises du carrefour de la rue neuve Notre-Dame et du marché Pallu , mentionné ci-devant. L'aqueduc de l'Yvette doit avoir 17.352 toises de longueur, dont 15.141 toises seront faites à découvert, et 2.211 toises, en quinze parties, passeront sous terre, comme cela s'est pratiqué pour conduire à Versailles l'eau de l'étang de Trapes, par un aqueduc de 750 toises de longueur, qui passe à 84 pieds fous le sommet de la butte de Sataury. Nous proposons de donner à l'aqueduc de la partie supérieure de l'Yvette, 4 pieds de largeur dans le fond, et 5 pieds dans le haut, le tout mesuré dans œuvre, sur 5 pieds de hauteur, et de donner un pied de plus de largeur pour la partie dans laquelle les eaux de la Bièvre se trouveront réunies à celles de l'Yvette. La pente de l'aqueduc de l'Yvette, doit, en général, être réglée à raison de 15 pouces par mille toises, mais dans les souterrains et les aqueducs élevés au-dessus de terre, où il conviendra, pour faire moins de dépense , de réduire la largeur de ces aqueducs: nous avons eu l'attention d'en augmenter la pente, pour que la même quantité d'eau puisse également y passer. La vitesse de l'eau dans l'aqueduc, dont la pente aura été réglée fur le pied de 15 pouces par mille toiles, sera, d'après des expériences que nous avons faites, d'environ un pied par seconde; si l'on suppose que l'eau ne s'élève ordinairement qu'à 3 pieds 6 pouces dans cet aqueduc, il passera 18 pieds 8 pouces 4 cubes par seconde dans la partie la plus large, ce qui donnera 2.840 pouces 5/6 d'eau , et c'est à peu-près la quantité que pourront fournir toutes les eaux dans les temps où elles seront les plus abondantes. Les autres principaux ouvrages qui seront faits: sont, un aqueduc près Tourvoye, traversant la vallée de Rungis, de 318 toises de longueur; il sera composé d'arcades en plein ceintre, de 60 pieds de diamètre, et d'autres en forme de segmens des mêmes arcades, le tout au nombre de vingt-cinq; il aura 64 pieds de hauteur dans le milieu de sa longueur. L'aqueduc actuel d'Arcueil, fait par les ordres de la reine Marie de Médicis, sur 165 toises de longueur; cet édifice étant très-solide, on l'élargira sur ces piliers buttans , et on l'élèvera pour y faire passer toute l'eau que l'on se propose de conduire à Paris, en formant un nouveau canal au-dessus de celui de l'eau d'Arcueil, dont le cours ne seroit point interrompu , et cela, au lieu de construire , comme on l'avoit proposé, un nouvel aqueduc, parallèlement à celui de Médicis, qui auroit eu 76 pieds de hauteur dans le milieu de sa longueur, aux risques même de ne pas trouver, pour l'établir, un fond qui fût également solide à cause des fouilles qui ont été faites anciennement dans les environs d'Arcueil, pour en tirer la pierre. Enfin la construction d'un château d'eau , près le carrefour de la route d'Orléans et du nouveau Boulevart, un peu au-delà de l'Observatoire en partant de Paris. L'eau arriveroit à ce château d'eau, à 12 pieds 11 pouces 4. lignes au-dessus du bouillon d'eau d'Arcueil, et à 23 pieds 11 pouces 1 ligne aussi au-dessus de ce même bouillon d'eau, en la prenant un peu au-delà du château d'eau avant sa chute, dans un filtre de sable de 10 pieds 6 pouces 9 lignes de hauteur, qui seroit fait pour la purifier; ce qui donnera la facilité de porter une partie de cette eau au sommet de l'Estrapade, qui est plus élevé de 13 pieds 1 pouce 6 lignes que le bouillon d'eau d'Arcueil, et d'en distribuer dans ce quartier le plus élevé de Paris, qui en manque entièrement. Pour cet effet, on prendra l'eau nécessaire au-delà de ce filtre, et on la fera passer dans un autre qui sera moins profond. Nous avons achevé notre travail, par le devis et le détail estimatif, et le dessin de tous les ouvrages d'art. La dépense totale doit, suivant notre estimation , monter avec les indemnités, à sept millions huit cents vingt-six mille deux cents neuf livres, compris les 2.809 toises de longueur qu'aura l'aqueduc de la Bièvre, et tout ce qu'il y aura à faire généralement pour amener à Paris, comme nous l'avons déjà dit, environ deux mille pouces d'eau, compensation faite des temps de sécheresse et de pluie; ce qui fera plus de cinquante pintes par jour pour chaque habitant, lors même que le nombre en seroit porté à huit cents mille. Il est facile de concevoir combien une pareille quantité d'eau, qui seroit décuplé de celle dont on jouit présentement par les fontaines publiques et les conduites particulières de l'intérieur des maisons, seroit avantageuse, tant pour l'usage ordinaire des habitans , que pour la salubrité de l'air qui devient mal sain, dans de certains quartiers trop resserrés et peuplés, faute de la propreté que l'eau coulante dans les rues, et celle qui seroit distribuée dans les maisons, pourroit y procurer. Pour que le tracé que nous avons fait sur le terrein, de l'emplacement des aqueducs, de celui des ponts et autres ouvrages d'art, ainsi que les nivellemens, d'après lesquels sa pente de chaque partie doit être réglée, soient constatés et conservés jusqu'au temps auquel on pourra entreprendre ce travail; M. Trudaine a fait planter et sceller sur le terrein deux cents vingt-deux bornes de grès, sur lesquelles on a. gravé des fleurs-de-lys et des numéros , qui sont relatifs au plan de ces aqueducs; ce plan que M. Trudaine a aussi fait graver, est joint au présent Mémoire, ainsi qu'une table servant à indiquer la hauteur ou profondeur à laquelle doit être établi le pavé du fond de chaque partie des aqueducs, à mesurer d'après la tête de ces bornes, pour qu'ils aient les pentes que l'on s'est proposé de leur donner, ainsi qu'elles sont expliquées par le devis; au moyen de quoi on seroit dès à présent en état d'entreprendre la construction de cet important ouvrage, si on le jugeoit à propos. Lorsque l'eau sera arrivée au nouveau château d'eau, il faudra encore la distribuer dans différens quartiers de Paris. Les conduites qui portent l'eau aux fontaines actuelles pourront recevoir une plus grande quantité d'eau, mais il faudra établir de nouvelles conduites et de nouvelles fontaines. La dépense pour l'exécution de la première partie de ce projet, pourra rentrer par la vente de cinq cents cinquante pouces d'eau, en ne l'estimant même que sur le pied de cent livres la ligne, moitié de la valeur de celle dont la ville a disposé. On subviendroit de même à la dépense des nouvelles conduites et des fontaines, par la vente que l'on pourroit faire d'une plus grande quantité d'eau, sans que l'on eût à craindre d'en manquer pour les fontaines publiques. Nous pensons qu'après cette vente totale, il resteroit encore au moins cinq à six cents pouces d'eau pour les fontaines, au lieu de quatre-vingt-quinze ou cent pouces au plus que donnent par leurs robinets extérieurs les soixante fontaines qui font actuellement construites. Les propriétaires des maisons se trouveroient bien dédommagés des frais de l'acquisition de cette eau, et des conduites particulières qu'ils auroient à faire pour l'amener chez eux, parce qu'ils seroient affranchis pour toujours, ainsi que leurs locataires, de la nécessité où ils sont d'acheter journellement l'eau dont ils peuvent avoir besoin (6). Nous croyons devoir parler ici de l'objection, qui a paru s'accréditer contre le projet de M. de Parcieux. On a prétendu qu'il seroit préférable d'élever l'eau de la Seine à la hauteur seulement que pourroient l'exiger les différens quartiers de Paris, en y employant des pompes à feu; c'est en effet la machine la plus ingénieuse, et qui paroîtroit le mieux convenir pour cette destination. L'exécution du projet de M. de Parcieux, ne présente aucun de ces inconvénients; il a de plus l'avantage essentiel que pendant un nombre de siècles, le cours de l'eau ne pourra être interrompu, ni les ouvrages dégradés, étant faits avec la solidité et l'attention qui sont prescrites par notre devis. En finissant ce mémoire, nous devons rendre justice à l'exactitude que nous avons reconnue dans le travail de M. de Parcieux, qui sans avoir levé les plans topographiques, fait les nivellemens du cours de l'Yvette, non plus que les devis et détails estimatifs de l'ouvrage, étoit parvenu, par sa sagacité et son application à bien indiquer les endroits par lesquels il convenoit de faire passer l'aqueduc, et à établir à peu-près la dépense, ainsi que la possibilité, que nous avons également reconnue de son exécution (7). À suivre…
Notes (1) La recherche d'eau potable pour alimenter Paris aboutit, plus tard, à la construction du canal de l'Ourcq au nord de Paris, puis encore plus tard, sous Napoléon III, par l'aqueduc de la Vanne imaginé par l'ingénieur Eugène Belgrand. (2) Adrien-Louis Lusson, Projets de trente fontaines pour l'embellissement de la ville de Paris (Bance Ainé, Paris, 1835) pp. 1-38. (3) Selon la définition « Un pouce d'eau donne 72 muids en vingt-quatre heures, chacun de 8 pieds cubes , ou de 288 pintes , mesure de Paris ». « Une ligne donne un demi-muid d'eau en vingt-quatre heures ». Pour convertir dans le système métrique cette unité de débit correspond à 22 litres 85 centilitres par seconde. (4) Max Boucard, La vie de Paris (chez Ollendorff, Paris, 1893). (5) Histoire de l'Académie Royale des Sciences , année MDCCLXXV avec les Mémoires de Mathématique et Physique (Impr. Royale, Paris, 1778). (6) Les terrains nécessaires n'étaient pas complètement acquis que l'on se mit au travail avec activité malgré les protestations des communes intéressées. Une enquête est ordonnée, le roi y assiste, les travaux sont suspendus mais Defer passe outre. Aussi à Bagneux on s'aperçut qu'une erreur de nivellement avait faussé les calculs et que l'eau ne pourrait pas arriver dans le canal prévu. (7) Le mémoire de Perronet comporte une « Table du Nivellement du dessus des bornes qui ont été scellées sur le cours des Aqueducs ou Canaux projetés pour conduire à Paris une partie de l'eau des rivières de /'Yvette, de Bièvre et du ruisseau de Bures ». On suppose dans cette table, que le canal de l'Yvette commencera à la sortie de l'étang à faire en deçà de Chevreuse, où l'eau, venant de Courbetin, sera amenée par une rigole particulière; et que depuis cet étang de Chevreuse, jusqu'à la prise d'eau du ruisseau du moulin de Tourvoye, la pente est de 4 pouces .
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