Le détournement des eaux de l'Yvette (2) |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------------- ------ Juin 2011 C. Julien
Cette chronique est le second volet de l'histoire du projet du détournement du cours de l'Yvette pour alimenter Paris en eau potable. Précédemment, nous avons eu connaissance du premier projet commandé par les administrateurs parisiens au mathématicien Antoine de Parcieux puis par Jean-Rodolphe Perronet, premier ingénieur, fondateur de l'école des Ponts et Chaussées. Avant de poursuivre, résumons son projet : « Le développement du canal de dérivation était de 17.352 toises. L'aqueduc était à ciel ouvert; sa largeur de 4 pieds 1/2; sa profondeur de 5 pieds ; sa pente de 15 pouces par 1.000 toises; l'eau arrivait à 15 pieds au-dessus du réservoir d'Arcueil; la dépense devait s'élever à 7.816.000 frs; le point de départ était un vaste étang qui se trouve vers Chevreuse; le débit de l'aqueduc était évalué à 1.500 pouces » (1).
La nomination de l'ingénieur Perronet Moins d'un an après la mort d'Antoine de Parcieux, l'inventeur du canal de détournement des eaux des rivières d'Yvette et de Bièvre, un arrêt du Conseil du Roi est donné le 31 juillet 1769 commettait des sieurs Perronet de Chezy, tous deux ingénieurs des Ponts et Chaussées pour procéder aux visites nécessaires pour la construction du canal. « Nous fumes nommés, par arrêt du conseil, pour achever ce projet dont les devis et détails,étoient pas faits » nous dit le premier ingénieur. Contrairement aux opinions répandues, le Conseil d'Etat était très écouté par le Roi, lequel s'alignait souvent sur l'avis de la majorité des conseillers. Voici l'extrait des registres du Conseil d'Etat : « Le Roi s'étant fait rendre compte, en son Conseil de la quantité d'eau que fournissent, pour l'usage de sa belle ville de Paris, les pompes établies sur la rivière, et les aqueducs qui amènent l'eau de plusieurs sources des environs, comme aussi le projet qui a été formé pour amener celle de la rivière d'Yvette dans cette Capitale, Sa Majesté aurait reconnu que rien ne seroit plus avantageux auxdits habitans que de leur procurer, pour faciliter le nettoiement des rues, entretenir la salubrité de l'air, et servir à leurs divers besoins, un nouveau volume d'au aussi considérable que celui que cette rivière est en état de fournir ; Sa Majesté voulant leur donner en toute occasion des marques d'une bienveillance particulière, à cru ne pas devoir différer de faire faire une vérification, au moyen de laquelle la possibilité et les moyens de faire arriver, par son propre cours, l'eau de l'Yvette à quelque point élevé de la ville de Paris, ainsi que de la dépense de divers ouvrages nécessaires à cet effet, fussent bien et sûrement constatés, afin de pouvoir aviser ensuite aux mesures qu'il conviendra de prendre, pour assurer et hâter l'exécution d'un projet aussi intéressant pour sa bonne ville de Paris. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Maynon d'Invau, conseiller ordinaire, et au Conseil royal, contrôleur général des finances ; le Roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que par le sieur Perronet, premier ingénieur des Ponts et Chaussées, des Académies des Sciences et d'Architecture, chevalier de son Ordre, et le sieur de Chezy, ingénieur des Ponts et Chaussées, lesquels Sa Majesté commet à cet effet, il sera incessamment procédé à la visite et reconnoissance du cours de la rivière d'Yvette, ainsi que du point où il conviendra de le détourner, des terreins sur lesquels il sera nécessaire de faire passer l'eau de ladite rivière, et de l'endroit où il sera le plus à propos de la faire arriver, pour qu'elle puisse être distribuée où besoin sera, dans les différens quartiers de la ville de Paris ; en conséquence, qu'il sera par lesdits sieurs Ingénieurs, levé les profils et fait les nivellemens nécessaires, ainsi qu'un plan topographique des terreins, sur une échelle suffisante pour en faire connoître les détails. Ordonne pareillement Sa Majesté que lesdits sieurs Ingénieurs il sera dressé des plans, devis et détails estimatifs de tous les ouvrages qui seront nécessaires, tant en constructions, qu'en terrassemens et autres ; et qu'il sera par eux formé un plan détaillé des terres, maisons, moulins et autres propriétés quelconques, qu'il conviendra d'acquérir pour l'exécution dudit projet ; lequel état contiendra l'estimation des indemnités qui seront dues pour raison desdites acquisitions. Et seront lesdits projets, plans, devis et détails estimatifs et procès-verbaux d'estimation, remis au sieur Contrôleur général des finances, pour en être par lui rendu compte au Roi, et être par Sa Majesté ordonné ce qu'il appartiendra. Fait au Conseil d'Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Compiègne le trente-unième jour de juillet mil sept cent soixante-neuf. Signé Phélypeaux. Le dignitaire qui signe de cet arrêt est Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas et de Pontchartrain, baron de Beynes, surintendant de la Marine, secrétaire d'Etat, greffier, commandeur et secrétaire des Ordres du Roi puis Grand Trésorier des Ordres. Il fut ministre d'Etat et conseiller des rois Louis XV et Louis XVI et président du Conseil d'État .
Le tracé de l'aqueduc Pour résumer brièvement les détails topographiques des ouvrages consacrés à l'alimentation de Paris en eau potable, reprenons le projet repris par Perronet. Les eaux sont captées en deux endroits et collecteront celles de petits affluents : l'Yvette est captée au-dessus de Saint-Rémy-les-Chevreuse en aval sur l'Yvette « à 819 toises [1.596 m.] du réservoir de l'ancien moulin d'Etau près de Vaugien » avec un réservoir de 40 arpents ( 13 hectares et demi) ; un « étang » dit Perronet. Cette branche est alimentée par les affluents. Autrefois, il existait sept moulins à Saint-Rémy. Il en subsiste trois : le moulin de Vaugien, le moulin du Rhodon (ancienne entreprise piscicole) et le moulin des Clayes. Le moulin de Coubertin, probablement situé sur le Montabé a été détruit, tout comme les moulins de Rhodon, et de Tournaye, sur le Rhodon. Il y aurait eu deux moulins à Vaugien : le premier fut entièrement détruit, il s'agissait sans doute du moulin d'Etau sur l'Yvette; le second fonctionnait encore en 1796. une rigole et un siphon seront construits pour amener les eaux de sources de Bures. des repos pour le dépôt des vases seront placés sur toute la longueur de la partie supérieure à 1.000 toises les uns des autres Entre Saint-Rémy et Gif, le canal est découvert, 6 pieds de largeur dans le haut, 5 pieds au fond et 4 pieds de profondeur ; sa largeur et sa hauteur seront augmentées chacune d'un pied après la conjonction avec le canal de Bièvre. la Bièvre est captée en aval de ce village et reçoit les eaux des ruisseaux des Mathurins et de Vauhalan. Cette branche d'aqueduc de 5.475 mètres rejoint les eaux de l'Yvette un peu au-delà de Massy, à la sortie de l'aqueduc souterrain. un canal souterrain de 790 toises de longueur ( 1 km et demi) traversera la montagne de Massy. En effet, aux environs de Massy, l'étroitesse du plateau entre les vallées de l'Yvette et de la Bièvre permet de faire passer un aqueduc souterrain. après la jonction des deux canaux, l'aqueduc emprunte les hauteurs de la rive droite de la Bièvre, depuis Antony jusqu'à Arcueil, à mi-côte du côté des villages de Fresnes et l'Haÿ-les-Roses. Un viaduc doit être construit sur une longueur de 318 toises ( 620 m .) pour faire traverser le val de Rungis. afin d'amener les eaux au pied de l'Observatoire, la vallée de la Bièvre est traversée à Arcueil en empruntant l'ancien aqueduc que Marie de Médicis avait fait construire en 1618. D'une longueur de 322 mètres , le viaduc devait être surélevé en formant un nouveau canal à 25 mètres de hauteur. enfin un château d'eau sera construit avec son système de décantation (le bouillon) et de filtration. Cet édifice était prévu près « le carrefour de la route d'Orléans et du nouveau Boulevard, un peu au-delà de l'Observatoire en partant de Paris ». Le filtre aura 50 toises de long, 18 pieds de large par le haut et 17 pieds par le bas, sur 15 pieds de hauteur , et sera établi 10 pieds plus bas que le fond du canal d'arrivée. En de multiples endroits la construction aurait posé des problèmes car les sols reposaient sur d'anciennes carrières comme à Antony ou à Arcueil. D'ailleurs, Perronet le reconnaît lui-même pour ce qui concerne la construction d'un aqueduc parallèle à celui de Marie de Médicis « aux risques de ne pas trouver pour l'établir un fond qui fût également solide, à cause des fouilles qui ont été faites anciennement dans les environs d'Arcueil pour en tirer la pierre ». À Antony, les habitants s'opposèrent au projet repris par Defer « Une grande partie du territoire, qui touche aux murs du village d'Antony, a été fouillé pour en extraire le plâtre. Le canal étant dirigé sur ces terrains creux, les eaux qui y couleront, ne tarderont pas à se faire un jour, à couler et à se perdre dans les carrières, à détruire le ciel ainsi que les piliers qui soutiennent les terres, et à causer des fondis, dont les suites fâcheuses sont incalculables ».
Le devis estimatif Selon les devis établis par Perronet et Chezy, la dépense totale serait de plus de 7 millions, 7.826.209 livres exactement pour amener 2.000 pouces d'eau à Paris « … ce qui fera plus de 50 pintes par jour par habitant, quand même le nombre en seroit porté à 800.000 ». Le devis est calculé sur la base de deux toises courantes du canal (2). Maçonnerie en moellon de meulière, avec mortier de chaux et de sable . Le détail d'une toise cube de cette maçonnerie comprend : Mortier . La chaux sera prise à Saint-Arnoul : il en faudra 24 pieds en pierre, qui produiront à peu près 36 pieds , la chaux étant éteinte, parce qu'elle ne foisonne que de moitié en sus.
Maçonnerie de pierre de meulière cassée à la masse, avec mortier de chaux et ciment. Pavé de grès refendu . Détail pour un grand millier de 1.122 pavés, chacun de 8 pouces en quarré et 4 pouces d'épaisseur. Maçonnerie en grès pour le caniveau, les chaînes et les tablettes de recouvrement. Le grès sera pris aux mêmes rochers que le pavé.
La qualité de l'eau « On interprète généralement la multiplication des projets d'aménagement hydraulique à Paris à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle comme une réponse à une série de problèmes d'eau », nous dit Frédéric Graber (3) . Le doute sur la qualité de l'eau permettait de discréditer tel ou tel projet. Ainsi, la question de pourvoir une quantité d'eau potable nécessaire a Paris résulta en un partage de l'opinion publique en deux partis : celui de ceux qui étaient favorables au projet de l'Yvette et l'autre comprenant les gens soutenant l'installation de pompes à feu moins onéreuses. Un compagnie fut crée pour l'installation de machines hydrauliques placées à la gare de l'Hôpital ou à la pointe de l'île Saint-Louis. Pour faire pencher la balance en sa faveur, la compagnie allégua la mauvaise qualité des eaux de l'Yvette, comparées à celles de la Seine, et cette objection ne tarda pas à répandre dans le public un préjugé défavorable pour le projet de l'Yvette. Dans un mémoire, de l'examen des eaux de l'Yvette fait par MM. Hellot et Macquer, il résultait que ces eaux étaient saines et potables. L'ingénieur crut devoir appuyer le témoignage de ces deux académiciens de celui d'une commission de la faculté de médecine, dont il provoqua la nomination. Cette commission fit sur les eaux de la Seine, de l'Yvette, d'Arcueil et de Ville-d'Avray, une suite d'expériences comparatives qui confirma pleinement le résultat du premier examen. M. de Parcieux en rendit compte dans un mémoire qu'il lut à la séance publique de l'Académie, en 1766. Vers 1802, l'analyse des canaux des rivières de l'Yvette, de la Bièvre, de l'Orge, de la Juine et de l'Essonne fut réalisée par M. B.-A. Devert, « pour conduire une portion de leurs eaux à Paris ». Les conclusions particulières sur ces mêmes canaux et sur celui de l'Ourcq furent lues au Comité des Ponts-et-Chaussées par M. Gauthey
L'expertise de Lavoisier Dans son mémoire présenté à l'Académie des Sciences Perronet décrit l'apport et l'expertise de Loivoisier, célèbre chimiste. Une fois de plus, le premier ingénieur des Ponts et Chaussée trouvait un soutien de premier ordre pour son projet de canal de l'Yvette. M. Lavoisier a examiné par ordre de l'académie, avec toute la sagacité et l'intelligence qu'on lui connoît, à combien pourroit monter la dépense et l'entretien annuel de cinq pompes à feu, qu'il seroit, suivant cet académicien, nécessaire d'établir, ainsi que deux pompes de relais, pour élever 2.000 pouces d'eau; il a eu égard dans les calculs, aux changements qu'il y auroit à faire sur la dépense, à proportion des différentes hauteurs auxquelles on voudroit élever l'eau. Nous adopterons avec M. Lavoisier, la hauteur réduite de 70 à 80 pieds au-dessus des plus basses eaux de la Seine, qui paroît convenir pour porter l'eau aux différens quartiers de Paris; et nous conclurons avec lui, d'après les calculs qui sont établis sur des faits incontestables, comme il sera facile de le connoître par le mémoire que l'on trouvera dans la deuxième partie du volume de l'année 1772, de cette académie, que pour élever les 2.000 pouces d'eau que les aqueducs de l'Yvette et de la Bièvre pourront conduire le plus ordinairement à Paris, il en coûteroit annuellement quatre cents trente-trois mille livres, ce qui, au denier vingt, formeroit un capital de huit millions six cents soixante mille sept cents livres, sans y comprendre les frais de conduite d'eau et des fontaines à construire. Il suit de ce calcul, qu'en employant les pompes à feu, il en coûteroit au moins huit cents mille livres de plus qu'en construisant les aqueducs proposés; on a supposé d'ailleurs que le charbon de terre, qui est évalué à cinquante livres la voie, ne payeroit qu'un demi-droit d'entrée, qui est de dix livres; mais il seroit bien difficile peut-être d'obtenir cette remise au préjudice des titulaires des Offices, auxquels ces droits ont été aliénés, et dont une partie est affectée au payement de leurs gages. Il faut considérer encore que la consommation du charbon de terre qui iroit à plus de seize milliers pesant, par jour, en supposant que l'on pût toujours se procurer une quantité suffisante de cette matière, en augmenteroit vraisemblablement le prix, ainsi que l'observe M. Lavoisier; cet académicien fait aussi envisager, comme une chose digne de la plus grande attention, la mauvaise odeur de la fumée que pourra répandre sur Paris, la combustion continuelle d'une aussi grande masse de charbon, et qu'il y auroit peut être à craindre, de plus, que la quantité considérable de soufre, d'alkali volatil et d'huile empyreumatique, qui s'en exhaleroit, ne nuisit à la santé des habitants de cette capitale. Lavoisier présenta deux mémoires en réponse devant l'Académie. L'un sur les réflexions du père Félicien de Saint-Norbert, carme déchaussé, l'autre sur la brochure de M. d'Auxiron qui présente cinq objections. Le célèbre savant écrit : « Le père Félicien débute par un tableau pathétique des ravages que causera la rivière d'Yvette dans ses débordements ». Puis, viennent des réponses aux objections sur la pente du canal, le faible débit à la belle saison faisant allusion à l'été 1762 qui a vu trois mois sans pluie, les eaux croupissantes dont l'odeur gâtera l'air, la formation de glace en hiver, la gêne causée par les moulins, la difficulté de filtrer les eaux de l'Yvette, etc. Bref, les objections du père Félicien sont irrecevables pour Lavoisier. À suivre…
Notes (1) Un pouce d'eau est le débit de 22,85 litres par seconde ou 82,26 mètres cubes par l'heure. (2) J.-R. Perronet, Description des projets et de la construction des ponts et du projet de la conduite des eaux de l'Yvette et de la Bièvre à Paris (Paris, 1788). (3) Frédéric Graber, La qualité de l'eau à Paris , 1760-1820 par in Entreprises et histoire, N°50, 2008, pp.119-133.
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