Le détournement des eaux de l'Yvette (3) |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------------- ------ Juin 2011 Le quartier de l'Observatoire à Paris vers 1770. La flèche indique le terrain où serait construit le réservoir des eaux de l'Yvette.C. Julien
Cette chronique est la troisième partie consacrée à l'histoire du projet du détournement du cours de l'Yvette pour alimenter Paris en eau potable. Précédemment, nous avons appris le premier projet commandé par les administrateurs parisiens au savant Antoine de Parcieux, puis celui conduit par Jean-Rodolphe Perronet. Cette fois nous évoquons l'entreprise du sieur Nicolas Defer qui souleva d'énormes protestations au moment de la Révolution (1).
Le projet de Defer de la Nouere Nicolas Defer de la Nouere , ingénieur, s'occupa activement de la question d'amener de l'eau potable à Paris en 1782 et 1783, et publia plusieurs mémoires à ce sujet. En 1782, l 'Académie fit un rapport en faveur des nouvelles idées émises par M. Defer; ce rapport est signé Delalande, d'Alembert, Coulomb, Leroy, Bossut, le marquis de Condorcet et Tillet. En 1786. M . Defer publia un nouveau mémoire dans lequel il fit l'offre de déposer 250.000 livres à la trésorerie de la ville pour commencer les travaux, en renonçant aux bénéfices en faveur du trésor public, après remboursement de ses avances. Louis XVI nomma, le 21 mai 1786, des commissaires pour examiner les plans et devis. Sur leur rapport, S. M. en ordonna l'exécution au profit de M. Defer de la Nouere et compagnie. On mit la main à l'uvre; les travaux avançaient avec une étonnante rapidité, lorsqu'ils furent subitement arrêtés (1787). M. Gauthey, qui devint plus tard inspecteur-général des Ponts-et-Chaussées, fait observer que ces travaux furent interrompus par des motifs d'intérêt particulier. Le courageux M. Defer ne put donc achever cette belle entreprise. M. Gauthey publia en 1802 un mémoire dans lequel il proposa de réunir au canal de l'Yvette les eaux de l'Orge, de la Juine , etc. Ce mémoire fut lu en comité des Ponts-et-Chaussées en frimaire an XI (1802). Voici une des conclusions: « Que l'on fasse faire les plans, nivellements et jauges du canal à faire (de l'Yvette), pour procurer à la partie méridionale de Paris les mêmes avantages que l'Ourcq procurera à la partie septentrionale, en faisant venir au-dessus du faubourg Saint-Jacques les eaux de l'Essonne, de la Juine , de l'Orge et de l'Yvette, par un canal pareil à celui de l'Ourcq, et celles de la Bièvre par un canal séparé ». Nicolas Defer de la Nouerre (1740-1794) ancien capitaine d'artillerie dans les colonies, ingénieur des ponts et chaussées, membre de l'académie de Science, envoyé comme ingénieur en Berry puis Bresse. Il se passionna pour le problème des canaux dont il publia deux ouvrages: Defer proposa un projet de canal dans le Berry puis un projet pour l'enfouissement de l'Yvette à Paris. Soutenu par le Comte de Provence, il parvint à faire voir ses vues mais ne réussit pas à conclure son projet pour des raisons financières. Jusqu'en 1770, deux machines hydrauliques fort anciennes et tombant de vétusté, les pompes Notre-Dame et de la Samaritaine , fournissaient les eux nécessaires à la consommation de Paris. Depuis 1781, la distribution des eaux dans Paris se faisait en partie au moyen des pompes à feu des frères Perier, installées principalement au bas du village de Chaillot. Les frères Perier n'étaient en quelque sorte que les gérants d'une société en commandite formée le 27 août 1778, sous le nom de Compagnie des Eaux de Paris, à laquelle ils avaient apporté l'outillage industriel des pompes élévatoires de Chaillot. Ces ingénieurs, ayant été congédiés, intentèrent un procès aux administrateurs de la Compagnie , à l'effet d'obtenir la restitution des 300 actions qui leur appartenaient. Ils obtinrent gain de cause par l'arrêt du Parlement du 22 septembre 1790 qui condamna la Compagnie à payer 1.200.000 livres . L'aqueduc d'Arcueil et de Rungis amenait au château d'eau de l'Observatoire les eaux qui alimentaient la partie méridionale de Paris. Sous l'Ancien régime, le Bureau de la Ville procédait régulièrement chaque année à la visite des sources de Cachan, Rungis et Arcueil. Il y avait un intendant des Eaux et Fontaines, M. Coulomb, qui dans une lettre adressée à M. d'Angiviller, le 6 mai 1790 , exposa l'urgence de faire dégraveler les conduites engorgées depuis l'Observatoire jusqu'au Luxembourg, seul moyen de remédier à la déperdition des eaux causée par l'obstruction des tuyaux. Dans sa lettre datée du 27 octobre 1790, M . d'Angiviller prie M. Bailly de provoquer la nomination des commissaires de la Municipalité qui se réuniront aux agents du Roi, chargés de l'aqueduc d'Arcueil, pour l'examen des titres du sieur Trudon, et déclarant que les eaux d'Arcueil sont une propriété vraiment publique, consacrée par des siècles, « depuis que l'empereur Julien faisait venir pour sa chère Lutèce les sources du point de Rungis par un aqueduc dont les vestiges existent encore ». Alors que le projet de MM. Perronet et Chezy s'élevait à huit millions de livres, celui de Defer de la Nouerre était proposé moyennant une dépense dix fois moindre. Les commissaires nommés pour faire l'examen de ce projet en rendirent un compte avantageux. Toutefois, le projet de canal pour conduire à Paris les eaux de l'Yvette et de la Bièvre se heurta, dès le début de l'entreprise, à l'opposition des riverains et intéressés à la conservation des rivières, et on ne put commencer aucuns travaux, quoi que l'entrepreneur eût déposé entre les mains du trésorier de la Ville une somme de 400.000 livres , applicable au payement des terrains sur lesquels devait passer le canal. La modicité de la dépense à laquelle on réduisait l'exécution du canal de l'Yvette, fournissait aux adversaires des pompes à feu, de nouvelles armes dont Mirabeau n'avait pas négligé de se servir. Toutefois, malgré les efforts de M. de Breteuil, prévôt des marchands, le bureau de la ville de Paris ne suivit pas les recommandations du ministre faute de moyens ; là aussi les caisses du trésor municipal étaient vides. L'arrêt du 3 novembre 1787 autorisa le projet à condition qu'il l'entreprenait à ses risques et périls et qu'il traiterait de gré à gré avec les propriétaires des terrains qu'il serait obligé de traverser. Defer créa 4.800 actions de 1.200 francs chacune, payables par douzième, d'année en année. Sûr de lui-même, Defer avait pris l'engagement de terminer le canal de l'Yvette pour le mois de juillet 1788, mais les obstacles de toute nature s'opposèrent à l'exécution.
Les actes du Conseil d'Etat Dans les minutes relatives aux eaux, canaux, égouts et assainissement, nous relevons six actes qui se rapportent aux canaux de l'Yvette (1) :
Carte postale (1900) montrant le pont aqueduc d'Arcueil construit Marie de Médicis (A), qui amenait les eaux de Rungis, surélevé par Belgrand (B) pour amener les eaux de la Vanne.
Projet de Gauthey Les projets des canaux de l'Essonne , de l'Orge, de la Juine , de la Bièvre et de l'Yvette, à Paris furent présentés par M. Gauthey , inspecteur-général des Ponts et Chaussées, premier vice-président de cette administration et membre de la Légion d'honneur. J' ai déjà fait remarquer, dit M. Gauthey, que la rivière de l'Ourcq ne pouvoit donner de l'eau que dans la partie septentrionale de Paris, et que, pour en donner en aussi grande quantité dans la partie méridionale il falloit la faire venir en partie de l'Essonne, de la Juine , et joindre, en passant, l'Orge, l'Yvette et la Bièvre. Le nivellement de l'Yvette et celui de l'Essonne et de la Juine , font voir sur la carte, à peu de chose près, les endroits par où passera la rigole, en lui donnant six pouces de pente par cent toises, et par conséquent qu'il faudra prendre la rivière d'Essonne à 28 pieds au-dessus du fond de l'aqueduc d'Arcueil, qui est à 108 pieds au-dessus de l'étiage ; c'est la hauteur où se trouve l'Essonne, à 1.200 toises au-dessus de Malesherbes , où l'on feroit la prise d'eau de ce canal, qui est pour le moins aussi éloignée de sa source que la prise d'eau dans l'Ourcq l'est dans la Seine , et fournira probablement autant d'eau. Les eaux de l'Orge et de l'Yvette, que l'on recevra dans ce canal, sont plus considérables que celles de la Thérouenne et de la Beuvronne , que l'on reçoit dans celui de l'Ourcq. M. Perronet qui a fait un projet très-détaillé pour conduire l'Yvette à Paris, avoit cherché à rendre le trajet le plus court possible, et, à cet effet, il avoit projeté plusieurs souterrains, dont un de 800 toises, outre un grand aqueduc de 500 toises, au moyen de quoi il avoit donné à l'eau quinze pouces de pente, par 1.000 toises , mais y en suivant, depuis Palaiseau , les coteaux de Longjumeau, Juvisy, Choisy et Vitry, on allonge effectivement le canal de 4.000 toises sur 8.000, et néanmoins on peut arriver au même point, entre Orsay et Gif, parce que la rigole, quoique plus longue que la rivière d'Yvette, a beaucoup moins de pente; mais ce détour, évite tout aqueduc et tout souterrain, et par conséquent diminue considérablement la dépense; et la pente moyenne de six pouces pour 1.000 toises, à donner au canal , est suffisante, puisqu'elle excède celle qu'on a donnée à la dérivation de la rivière de Lew , pour la ville de Londres, et celle des rigoles des canaux d'Orléans et de Briare ; cette pente de six pouces par 1.000 toises étant continuée le long des coteaux , on prendra les rivages d'Orge et de Remarde , à peu près à leur jonction, et la Juine , près d'Etampes. Élargissement de l'aqueduc d'Arcueil . Il ne sera jamais nécessaire d'élever l'aqueduc d'Arcueil, puisqu'en faisant passer l'eau sur cet aqueduc à la hauteur actuelle, on arrivera à 108 pieds au-dessus de l'étiage, auprès de la barrière de Villejuif, c'est-à-dire, près de trente pieds plus haut que la barrière Saint-Martin. Cet aqueduc peut être élargi de quatre pieds de chaque côté, en formant des arcades qui lui seroient adossées et portées sur des piliers, qui seront seulement augmentés depuis la naissance des arcades actuelles. Le canal auroit alors douze pieds de largeur, et seroit contenu par deux murs en pierre de taille; il seroit ensuite continué jusqu'au bâtiment de la barrière Saint-Jacques, où l'on fera couler le superflu, tout le long du dehors des boulevards, jusqu'à la rivière, passant le long du Champ-de-Mars, pour y former quantité d'usines qui deviendront très-utiles.
Devis estimatif (en frs) de déviation de l'Yvette, l'Orge, la Juine et l'Essonne Les déblais, corrois et tranchées 1.726.150 Cinquante-cinq ponts, grands et petits 232.300 Le canal des moulins, hors des murs 48.875 Les indemnités des maisons et des moulins 240.00 Total . 2.247.325
Mais si l'on fait venir à Paris une quantité d'eau assez considérable pour que les fontaines n'en consomment pas la moitié, l'autre partie pourra être employée à former des courans d'eau qui se rendroient à la Seine par différentes chutes, depuis la barrière de Pantin, d'une part; et depuis celle de Villejuif ou d'Enfer, de l'autre. En employant cinq mille pouces à ces courans, pour en former des usines de différente espèce, par des chutes de deux mètres de hauteur chacune, on pourroit former d'une part onze chutes, et de l'autre quinze . La dépense d'eau d'un moulin ordinaire à farine étant évaluée à mille pouces, on y auroit à chacune deux ou trois roues, et tout environ 66 usines; ne fussent d'un produit bien plus grand, et ne fussent infiniment plus avantageux qu'étant disséminés au loin de la capitale.
L'opposition de Beaumarchais Dans les uvres complètes de Pierre-Auguste Caron de Beaumarchais, la lettre XXXIV est en réponse à l'ouvrage qui a pour titre « Sur les actions de la compagnie des eaux de Paris » par M. le Comte de Mirabeau, avec cette épigraphe (2) : Pauvres gens ! je les plains ; car on a pour les foux La lettre adressé aux administrateurs de la Compagnie des Eaux commence par « En recherchant quel est le but du véhément auteur auquel nous répondons, O vous pères de famille, pour qui l'auteur a l'air de s'attendrir, vous a-t-on fait accroire quelque chose ? ». En fait, la lettre de Beaumarchais dénonce les manuvres frauduleuses sur les actions de la compagnie, il dénonce les « joueurs » qui chargent du poids de leurs intérêts un homme [Mirabeau] aussi rempli de talent que de complaisance qui accuse les Eaux de Paris de spéculation sur un objet de consommation indispensable. Ainsi Mirabeau ne fait pas partie des défenseurs de la compagnie dirigée par Messieurs Perier : « Ses diatribes contre l'erreur, l'intrigue et la charlatanerie, qui, dit-t-il, ont succédé à la première opinion que les gens sages et les bons citoyens avaient conçue de l'affaire des eaux ». Selon Beaumarchais, l'eau coûte à celui qui s'abonne pour un muid d'eau par jour ( 274 litres ), 50 francs un foi payés, pour indemniser la compagnie de la pose du tuyau qui passe devant la maison, plus 50 francs par an, pour la valeur de l'eau. L'attaque de Beaumarchais est rude en parlant des critiques de Mirabeau « Peut-être un jour quelques mauvais plaisant coiffera-t-il celles-ci du joli nom de Mirabelles, venant du comte Mirabeau , qui mirabilia fecit ». La bataille de l'eau conduisit Mirabeau à donner en exemple les établissements londoniens, notamment la compagnie de Hugh Midleton qui vient de détourner la rivière Neuve. Nous y arrivons car Mirabeau défend le projet de l'Yvette dont Beaumarchais dit que la construction coûtera « malgré l'augmentation des matériaux et des journées d'ouvriers, pour la somme de 7.826.209 livres suivant les devis faits il y a quinze ans ». Pour l'auteur du Figaro, le coût actuel s'élèverait à 10 millions de livres pour 1.400 pouces d'eau dans les eaux basses. Puis, une bataille de chiffres s'amorce. Les eaux de l'Yvette coûteraient 1.050.000 livres y compris les intérêts du capital à 5% alors que l'eau des machines de MM. Perier 211.476 livres et 12 sols (on ne peut être plus précis !) pour les susdits 1.400 pouces d'eau. Puis, vient la question de la qualité « les rapports des chimistes ont montré que les eaux de la petite rivière [l'Yvette] sont moins bonnes que les eaux de la Seine et chargées d'une vase très fine tirée du propre fonds du terrain, dont il est impossible de les dégager entièrement par la filtration ». Et de conclure par une moquerie envers Mirabeau : O divine éloquence ! est-ce là ton emploi ? Ainsi tous les grands personnages de l'époque : Voltaire, Beaumarchais, Mirabeau, Trudaine, Coulomb, Lavoisier, etc. et même Louis XVI, furent impliquer dans le projet de détournement des eaux de l'Yvette. « Par l'Yvette, l'eau sera toujours belle et pure L'aqueduc de l'Yvette durera des quinze à vingt siècles » avait prédit Antoine de Parcieux. Malheureusement, ou heureusement, chacun choisira, le projet ne vit jamais le jour (3).
Les aventures financières Au cours du XVIIIe siècle, la vente de l'eau dans les fontaines de Paris fut d'un rapport très lucratif, mais objet de spéculation effrénée (4). Depuis 1763, les sieurs Montbreuil et ferrant avaient reçu l'autorisation de vendre de l'eau filtrée en installant les appareils à la pointe de l'île Saint-Louis. Un arrêt du 18 mai 1782 autorisait le sieur Charancourt à établir six fontaines épuratoires dans divers quartiers de la ville. La compagnie des frères Perier fut formée le 27 août 1778 avec un fonds social, de 1.440.000 livres , divisé en 1.200 actions. Avec la construction des pompes à feu de Chaillot et du Gros-Caillou, l'achat des établissements des frères Vachette, le capital social avait été promptement absorbé; on créa donc, au mois de décembre 1781, 600 nouvelles actions de 1.200 livres ; au mois d'août 1784, 2.200 au même prix ; enfin, en juillet 1786, 1.000 actions à 4.000 livres chacune. Le nombre des actions se trouva porté ainsi à 5.000 et le capital social élevé à la somme énorme, eu égard au résultat obtenu, de 8.800.000 frs. Louis Figuier fait remarquer que : « L'agiotage ne date pas d'aujourd'hui; cette lèpre financière sévissait au XVIIIe siècle, comme elle a sévi de nos jours: Law et ses actionnaires avaient fait école. L'agiotage perdit une entreprise des mieux conçues. Grâce aux manuvres des intéressés, et bien avant que l'affaire eût donné aucun bénéfice de 1778 à 1786, la valeur de l'action de la compagnie des eaux, d'abord de 1.200 livres , s'éleva progressivement à 4.000 livres , de sorte que la dernière émission d'actions eut lieu à ce cours, que rien ne justifiait. En 1786, l 'année la plus productive, les abonnements produisirent 45.883 livres . La vente de l'eau aux fontaines 66.278 livres , ce qui fait un total 112.161 livres ». Ce qui était loin de représenter l'intérêt des capitaux engagés permettant à Mirabeau d'attaquer cette aventure frauduleuse et les dépenses folles de la compagnie. Nous avons vu que, de son côté, le sieur Defer s'activait fébrilement à son projet de l'Yvette en déposant un cautionnement de 250.000 frs. Cet ingénieur se hâta de mettre l'affaire en actions. Il créa une société au capital de 4.800 actions de 1.200 livres chacune, c'est-à-dire de 5.760.000 frs. Mais il paraît que ces actions n'obtinrent pas grande faveur, car, le 4 février 1789, le produit de leur vente n'était encore que de 461.000 livres . Enfin les plaintes adressées au Conseil d'Etat par les teinturiers, mégissiers et tanneurs du faubourg Saint-Marceau, qui voyaient déjà la Bièvre à sec, et celles des propriétaires dont les terrains étaient traversés par la dérivation, motivèrent un arrêt, en date du 11 avril 1789, qui suspendit définitivement les travaux commencés par M. de Fer. C'est ainsi qu'échoua, aux approches de la Révolution française, qui vint paralyser pour longtemps les travaux de ce genre, ce beau projet de dérivation de l'Yvette, qui pendant vingt-sept ans avait captivé l'opinion publique, et qui vaudra à son auteur, de Parcieux, une gloire méritée. Antoine de Parcieux est, en effet, le premier qui ait attiré sérieusement l'attention de l'administration sur les dérivations des rivières pour l'alimentation de Paris, et quoiqu'on ait abandonné son projet pour exécuter, sous le premier Empire, le canal de l'Ourcq, l'idée de cette dernière entreprise a été certainement inspirée par les études des sieurs de Parcieux, Perronet et Chezy.
Le canal navigable de l'Yvette Après les projets de M.M. de Parcieux, Perronet, Defer, Gauthey et bien d'autres, Charles-Joseph Minard, ingénieur en chef du canal de Saint-Quentin, proposa, en décembre 1825, la construction d'un canal navigable pour le transport des pavés et matériaux nécessaires à Paris. Le mémoire porte le titre « Projet de canal et chemin de fer pour le transport des pavés à Paris ». Projet qui fait le pendant méridional de celui de l'Ourcq au nord de Paris « le canal, à son arrivée près de la barrière Saint-Jacques, au lieu-dit Mont-Souris, sera terminé par un bassin à l'instar de celui de la Villette ». L'économie du projet consistait à amener plus d'un million et demi de pavés pour remplacer les pavés dits « de Fontainebleau » d'une fragilité extrême et à continuer les travaux de pavage des rues de la capitale (5). Selon Perreymond « Les carrières qui offrent l'application la plus heureuse des canaux et des chemins de fer, pour transporter à moindres frais les pavés à Paris, sont celles des coteaux de l'Yvette ; et de toutes les carrières qui alimentent Paris, ce sont aussi celles qui fournissent les pavés les plus durs et les mieux faits » (6). Le prix du charroi d'un millier de pavés est aujourd'hui [1843] de 150 fr., ce transport par le canal et les chemins de fer, ne coûtera que 36 fr. On pourra donc facilement établir un droit de navigation de 50 fr. par millier (0.22 centimes par tonneau et par distance) qui produira un revenu de 75.000 fr. Il passera aussi par le canal une très grande quantité de pierre meulière. Le mètre cube de pierre meulière, arrivant par le canal, reviendra à 5 fr. 70 centimes dans Paris. Son prix actuel est presque double. Sur de nombreux points, l'ingénieur Minard reprend les termes de ses prédécesseurs. Le canal sera alimenté dans sa partie supérieure par l'Yvette, le ruisseau de Saint-Paul, de Port-Royal et de Bures. Leur produit total, en temps de sécheresse, est de 14.000 mètres cubes en 24 heures ( 730 pouces ). Il recevra de plus, dans sa partie inférieure, les ruisseaux de Chatenay, de Sceaux et de Fontenay-aux-Roses, qui donnent ensemble environ 2.000 mètres cubes ( 103 pouces ). Enfin, l'on pourra au besoin, et sans de grandes dépenses, prendre le ruisseau de Gif, qui donne 5.400 mètres cubes ( 180 pouces ). Ainsi le canal recevra, en temps de sécheresse, 16.000 mètres cubes d'eau par jour, une partie de cette eau arrivera à Paris par le jeu des écluses et en déversant sur leurs portes. La quantité d'eau qui pourra descendre à Paris étant de 8.000 mètres cubes , on voit qu'elle pourra suffire à l'arrivage de 30 bateaux par jour . Chaque bateau portant 48 tonneaux, et l'année de navigation pouvant être supposée de 500 jours, le tonnage de toutes les marchandises qui pourraient descendre sur le canal serait de 432.000 tonneaux, quantité presque triple de celle qui est présumée devoir y passer. La dépense totale du canal, y compris les indemnités de terrains et d'usines, est évaluée à la somme de 2.400.000 fr. Ainsi l'on pourra vendre l'eau du canal, soit pour laver les rues de Paris sur la rive gauche de la Seine , les abattoirs et les canaux fétides des Gobelins, soit pour desservir les hôpitaux du faubourg Saint-Jacques, qui en manquent ou n'en obtiennent qu'à grands frais, soit pour l'embellissement de la place Sainte-Geneviève, du jardin du Luxembourg et de tous les édifices publics des quartiers élevés, où l'eau du canal de l'Ourcq ne peut parvenir, soit enfin pour l'usage des fabriques des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Marceau, où l'on élève l'eau par des puits très profonds. En supposant que le canal ne vende que les trois quarts des 8.000 mètres cubes d'eau qui arriveront à Paris, il en résulterait, d'après le tarif des prix de l'eau de l'Ourcq, un revenu de 300.000 fr. L'utilité de l'eau ne se borne point à la capitale, elle trouve son application sur toute la ligue du canal; ainsi ou pourrait, à peu de frais, porter l'eau à Bicêtre, en passant par une conduite sur l'aqueduc d'Arcueil, ce qui réduirait au cinquième la grande profondeur ( 225 pieds ) de laquelle ou élève l'eau à cet établissement par des machines dispendieuses. À suivre
Notes (1) Alexandre Tuetey, Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution française , tome III (Impr. Nouvelle, Paris, 1894). (2) uvres complètes de Pierre-Auguste Caron de Beaumarchais , tome VII (chez Léopold Collin, Paris, 1809). (3) On aura une idée des exagérations du Mémoire de Beaumarchais, lorsqu'on saura qu'il évaluait à 70.000 muids, soit à 19.180 mètres cubes par vingt-quatre heures, la quantité d'eau qui serait vendue à Paris; de sorte qu'en adoptant le prix du tarif de la compagnie, soit 50 fr. le muid, le montant de la recette brute annuelle aurait été de 3.500.000 livres . Jamais les machines de Chaillot et du Gros-Caillou n'ont pu élever 19.180 mètres cubes d'eau, et, en 1858, la quantité d'eau vendue par la ville avant l'annexion de la banlieue (en déduisant bien entendu les concessions gratuites) étaient a peine de 25.000 mètres cubes , et le montant de la recette brute de 1.900.000 frs. (4) Paris comptait alors 547.755 habitants; la distribution était donc de 14 litres par tête, chaque 24 heures. Aujourd'hui, ce volume d'eau suffirait à peine à la distribution d'une ville de 20.000 âmes. (5) On estimait le besoin de 1.200 milliers de pavés pour l'entretien courant et 300 milliers pour le pavage des rues neuves et les réfections extraordinaires. Il faut voir dans ces chiffres, une grande usure des pavés par les voitures et tombereaux qui ne possédaient pas de pneumatiques. (6) C. Daly, Revue générale de l'architecture et des travaux publics , vol. 4 (Paris, 1843).
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